Je ne suis pas une femme qui écrit

«  Avoue que pendant des siècles tu t’es rincé l’œil. Ces poitrines qui rebondissent au-dessus de toi, ces bras vigoureux qui battent et tordent et pressent le linge. Et les bavardages, les ragots, les secrets…Tu as été pour les femmes un défouloir, un lieu de rêverie, un point de renseignement, un confessionnal, un tribunal. Tout ce qui étouffait venait se dégourdir chez toi. L’ennui, les chansons, les cris des mômes, les promesses des futurs amants. Les médisances et les confidences. C’était les mots bruts, sans mise en scène. Ceux qu’on ne lâche qu’à mi-voix, avec un regard en coin. Les regards qui s’évitent et ceux qui se cherchent. La bretelle qu’on replace et le sang qui monte aux joues quand on répond « Bonjour » à celui qui passe. Les gosses impatients qui tirent sur la jupe, les services qui se rendent et les comptes qui se règlent. L’humain, on peut dire que tu t’y es frotté. Tu as respiré son linge sale. Le sang des premières règles ou de la nuit de noces qu’on exhibe, et le sang qu’on cache, quand cinq mômes, ça suffit. Les fluides des naissances et des maladies, les draps du grand-père qu’on a veillé et ceux que le mari a déserté. Les linges pour laver le sol, pour panser les plaies, pour moucher les gosses, pour envelopper les agneaux. » Lettre au Lavoir, inédit

Un après-midi je descends au village et je croise un monsieur qui m’arrête tout de suite. « Ah ! C’est vous le texte sur les lavoirs ! C’était magnifique ! Merci, vous avez tellement décrit ce que c’était… et vous n’avez pas connu ce temps-là… c’est parce que vous êtes une femme ! » Je le remercie, mais je lui dis que non, ce n’est pas parce que je suis une femme. Il insiste. Il croit me faire plaisir. Je lui dis que personne n’a mieux décrit les lavoirs qu’Émile Zola. « Ah non… ». Je laisse filer. Je lui souris comme à un grand-père qui vient de dire une énormité mais à qui on n’en veut pas, parce qu’il est trop tard et qu’il serait inutile d’essayer de casser une vision du monde sur laquelle il a bâti toute sa vie. 

Je retourne à mes affaires et je rentre. Un goût gênant entre les lèvres. La phrase me reste. « C’est parce que vous êtes une femme… » J’allume la radio. Débat sur l’écologie. Une femme sur le plateau, pour parler de l’éco-féminisme. Un homme pour parler de l’écologie tout court. Je zappe. Débat sur l’Afghanistan. Quatre invités : trois hommes pour parler de rapports de pouvoir, d’économie, de religion. Une femme pour parler… des femmes. J’éteins. Je retourne à mon livre sonore. Je vais bientôt le finir. Pour le prochain, je veux un Zola. Mais il faut trouver la voix qui va me laisser seule avec le texte. Je fouille : Germinal (les mines) La Débâcle (sur l’armée), le Docteur Pascal (sur la science) : lus par des hommes. Au Bonheur des Dames (sur la mode) Thérèse Raquin (sur le couple) Le Rêve (sur l’adolescence) : lus par des femmes. J’éteins tout, et je retourne à mes carnets, à ma guitare, à mon piano. Eux s’en fichent que je sois une femme.

Je ne suis pas une femme qui écrit. Je suis une femme ET j’écris. J’écris comme souffle, comme regard, comme soif. Le regard que je porte sur un lavoir et sur le monde n’a pas de sexe. Je ne décris pas bien les femmes au lavoir parce que je suis une femme. Je décris tout aussi bien ou tout aussi mal des ouvriers sur un chantier. Et puis, les femmes n’étaient qu’une partie de ce texte sur les lavoirs. Ce qui m’émeut le plus dans un lavoir, c’est que c’est un lieu de parole devenu silencieux. J’ai la chance d’aller chercher de l’eau dans un lavoir magnifique. La doyenne du hameau où il se trouve y a bu pendant plus de quatre-vingt dix ans. Depuis deux ans elle est descendue vivre au village. Je suis seule aujourd’hui à boire cette eau. Pourtant un voisin entretient toujours le lavoir, nettoie l’eau au râteau, débroussaille tout autour. Il le fait pou rien, pour le plaisir, pour la mémoire peut-être. J’ai bien l’eau courante. Mais deux fois par semaine on vient me mettre quatre pastilles de clore dans le bassin. Les agents m’ont expliqué qu’avant, ils adaptaient la quantité en fonction de chaque situation, mais depuis qu’ils avaient créé les Com de Com, tout se décide ailleurs, et on leur impose la même quantité pour tout le monde, que l’eau arrive directement d’une source voisine ou passe par trois vallées. Tant pis. Ou tant mieux. Deux fois par semaine j’ai rendez-vous avec cet écrin d’immobilité et de silence. Un bâtiment inutile qui accueille tout ce qu’on veut bien y déposer. Les envies, les rêves, les regrets. Les prières.

L’eau et la pierre ensemble m’ont toujours apporté la paix. Les petits ponts au-dessus des ruisseaux, la mer qui claque sur les rochers, la goutte d’eau de la stalactite qui creuse la roche. Partout où se rencontrent l’eau et la pierre, quelque chose se dépose et lutte en même temps. Voilà de quoi, surtout, j’ai parlé dans cette lettre au lavoir. Mais comme avec la plupart des textes que j’écris, les lecteurs me renvoient à autre chose. À ce que eux souhaitent y lire et ce dont on parle déjà ailleurs.

Être femme est un élément de ce que je suis. Pas plus important que le fait que je sois moitié canadienne ou que sois issue d’une petite classe moyenne vivant en HLM. Je n’écris pas avec ce que je suis ni avec d’où je viens. J’écris avec ce que j’espère, avec ce que je refuse, avec ce dont je me suis libérée. Et tout cela vient de quelque part, oui, mais d’un quelque part trempé dans mes expériences, baigné dans le jus de ma personnalité, de mon exception, de tout ce qui en moi sort de ce qu’on m’a assigné. 

Barbara disait : « Je suis une femme qui chante. ». Dire « Je ne suis pas une femme qui écrit » ça n’est pas acceptable aujourd’hui. C’est trahir la cause, c’est accepter le patriarcat dominant, c’est renier sa féminité. Rien à faire. Pourtant je le dis, et même, j’en ai fait le titre de cette série de textes. C’est une petite vérité qui ne demande que sa place à la table où les voix fortes d’un certain féminisme nous disent que seules les femmes peuvent bien parler des femmes, comme beaucoup dans les milieux antiracistes disent que seules les personnes « racisées » peuvent bien parler d’esclavage ou de discriminations. Moi-même un jour, j’ai appris que j’étais racisée. 

Je travaillais depuis plusieurs jours avec des personnes dans un média bénévole, et ils se trouvaient très gênés car ils n’avaient pas de personne « racisée » pour venir parler du post-esclavagisme. L’une de ces personnes échangeait avec moi depuis plus d’un an, sans jamais m’avoir vue. Soudain quand la caméra s’est allumée, soulagement général : ouf ! Moi j’étais racisée puisque j’avais « des origines ». J’avais soudain plus de légitimité à parler d’un sujet que je n’ai pas travaillé plus que d’autres qui s’y connaissaient bien plus que moi mais qui avaient le malheur d’avoir la peau trop blanche. 

Je ne lis pas James Baldwin parce qu’il est Noir et parle des Noirs. Je le lis parce qu’en parlant des Noirs il me parle d’humanité, de domination, et des rapports de force dans une société. Parce qu’il sait m’en parler pour que ça me travaille, moi qui ne suis pas Noire. Voilà le travail de l’écrivain. Parler si bien d’une situation particulière qu’elle résonne dans son universalité. Personne ne m’a raconté la solitude épouvantée d’une misérable fille-mère au 19ème siècle comme cet homme, bourgeois et blanc qui s’appelait Victor Hugo. 

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Je finis ces lignes dans un garage où j’attends ma voiture. Le patron m’a laissé son bureau. La cigarette au bec, la radio que plus personne n’écoute, la fraternité muette des hommes qui n’ont pas besoin de parler pour se dire les choses. Abrités du reste monde dans ce refuge où ils refont marcher ce qui ne marche pas. Ici, les choses ont du sens. La machine c’est logique. Tu lui dis quelque chose elle le fait. Si elle a quelque chose de travers tu cherches et tu finis par trouver. Tout le contraire des humains. Mais je m’arrête là, car un homme saura sans doute mieux décrire ce monde que moi, puisque je ne suis qu’une femme qui écrit.

 

Crédits sonores du podcast :
Marion Cousineau
« Tango in the Dark » Ballian de Moulle
« Slow moves » Sirus Music
James Baldwin, interviews divers
« Les Misérables » François Christophe, France Culture
« Le Sommeil » de Barbara interprété par Sarah Roubato

 

Je ne suis pas une femme qui écrit

« Votre profil est mis à jour. Afficher dans le journal ? » Non… oui… je n’en sais rien. Est-ce une grande nouvelle digne d’être signalée ? Je modifie aussi le sous-titre de mon site. Quelques mots sous mon nom qui doivent, d’un coup d’œil, faire comprendre aux gens ce que je suis… ce que je fais… ce que je cherche. Sarah Roubato, écrivain. Sarah Roubato anthropologue. Sarah Roubato artiste de scène. Chacun est juste et incomplet. Il faut trouver le fil rouge, un geste propre à soi qui s’accomplit dans tout ce qu’on fait. Je travaille une seule matière : les mots. Écrits enregistrés et chantés. Je la travaille dans différentes activités : l’écriture de livres d’articles et de chroniques, des spectacles sur scène, des œuvres sonores, podcasts et portraits. Et dans toutes ces productions, je ne cherche qu’une chose : exprimer les potentiels. Tout ce qui est inaccompli, en germe ou abandonné, dans les individus comme dans le corps social. Et je les renifle, je les cherche… je les piste. Pisteur. Le mot m’apparaît, évident et juste. Aucun doute possible. Je connais trop cette tranquillité qui s’empare soudain de l’esprit agité, quand il a enfin trouvé le mot qu’il cherchait. 

À mon oreille le mot sonne neutre. Ni masculin ni féminin. Comme on dirait tracker en anglais. L’anglais est ma deuxième langue. J’ai grandi avec. P…i…s…t…e…u… Je m’arrête. Je viens de me cogner à l’exigence du français. « Bonjour ! Papiers s’il vous plaît. Homme ou femme ? Les hommes à droite, les femmes à gauche. Suivant.e ! »

Pisteuse ? C’est moche. Mais si je mets pisteur, je les entends déjà : je n’assume pas ma féminité, je reproduis le patriarcat dans la langue, je refuse l’écriture inclusive. 

Mais moi je n’en veux pas, de cette féminisation. Je ne la renie pas, seulement elle n’a rien à faire là. Le geste que j’accomplis dans mon travail qui est ma vie, n’a rien de féminin.

Mes doigts piétinent au-dessus de mon clavier. Je me lève et fais les cent pas. J’aimerais dire merde, et mettre le mot en masculin, sous mon prénom, ce prénom de matriarche qui se croit stérile et qui enfante dans la vieillesse. Un prénom porté comme un bijou, transmis par la lignée de femmes dont je suis issue, car c’est à moi qu’on a donné les prénoms de mes deux arrière grand-mères maternelles. Mais je ne peux pas dire merde. Car Internet est un espace de séduction. Mon site et mes profils sont des vitrines dont il faut prendre soin. 

Ce sera Pisteure, avec un e à la fin. Au Canada on utilise souvent cette féminisation des mots qui ne change pas la prononciation. Je suis pisteur, et si vous avez envie d’y entendre un e et bien allez-y. Moi je ne m’écorcherai pas la bouche.

Oui, la langue a son histoire. Injuste et patriarcale. On dit institutrice, on dit actrice, pourquoi ne dirait-on pas autrice ? C’est vrai. C’est logique. Cet interdit a une longue histoire. Le mot autrice existait dans l’Antiquité et a été mis à l’écart par des grammairiens voulant s’opposer au christianisme qui admettait le mot féminin. Le débat est revenu à travers les siècles, et au XIXème, écrivain devenant une profession, il est jugé indécent d’y encourager les femmes.

Mais il arrive souvent qu’une violence devienne un cadeau. Ce mépris misogyne, ce mot masculin qui est là, imposé, écrivain, je préfère le retourner que d’essayer de l’annuler. Je le prends comme la chance d’entendre un genre neutre. J’écoute le français avec des oreilles d’anglophone. Dans écrivain, j’ai toujours entendu writer. Dans auteur, j’ai toujours entendu author, femme ou homme. Avoir la capacité d’entendre le genre neutre est une libération d’une toute autre ampleur que celle de brandir sa féminité-dans-l’acte-d’écrire contre une masculinité-de-l’acte-d’écrire. D’un coup on ne parle plus de la personne, mais de la force créatrice. Un écrivain n’est plus la personne qui écrit mais l’acte-d’écrire-qui-se-commet-à-travers-quelqu’un. Voilà comment je l’entends. Et voilà comment je veux me présenter. 

Seulement le couloir d’expression est de plus en plus étroit aujourd’hui. Ceux qui font le plus de bruit imposent leur vision comme une nouvelle norme. Quand je retrouve mon nom dans un média, c’est plié : Sarah Roubato, autrice… Sarah Roubato, écrivaine… Sarah Roubato, femme d’abord, femme avant tout, qui écrit. Et qui écrit en tant que femme. 

D’ailleurs la norme n’a rien à faire de la vérité. Elle est là pour tracer le centre d’un cercle, et rejette ceux qui n’en sont pas. Ce sont des réacs, des soumises ou des nostalgiques. Et bien, je n’en suis pas. Je suis chanteuse parce que quand je chante, c’est bien avec ma voix de femme. Je suis écrivain parce que quand j’écris, je n’ai pas de genre. Je suis pisteure de possibles parce que je réclame le droit de me nommer. Comme disait l’une des grandes chanteuses féministes de notre langue : « S’il vous plaît, ne m’inventez pas, vous l’avez tant fait déjà ». (Anne Sylvestre, « Une sorcière comme les autres »)

Les semeurs du changement

« Et vous aussi médias, offrez nous de beaux exemples. Nous avons besoin d’admirer pour imiter. Déployez les gorges de ces inconnus qui inventent de l’alternatif positif tous les jour au réveil. Il y a des milliers de concurrents dans l’ombre qui ont arrêté la glose et qui creusent des solutions à main nue. Nous voulons les connaître, nous, vos chers auditeurs. Oui, ce sont ceux-là que j’ai envie d’écouter avec mes oreilles bien ouvertes et disponibles.  C’est avec eux qu’il faut faire des unes et qu’il faut faire du bruit. »
Jacques Gamblin, Parlement des écrivain, 2016.

Les Semeurs du changement, ce sont des rencontres avec des gens qui nous montrent qu’il est toujours possible de faire un pas de côté pour s’inventer une autre manière de vivre. Des sources d’inspiration qui ne font pas la une des médias et que je vous propose d’écouter dans des veillées, autour d’une thématique choisie par vous, nous nous retrouvons à les écouter et à déplier ce qu’ils nous inspirent. Pour en savoir plus : cliquez ici.Pour présentation en format pdf cliquez ici. 

J’atterris un beau matin chez quelqu’un que je ne connais pas. J’y reste le temps qu’il faut pour installer une confiance. Je vis à son rythme. Je la laisse me parler de ce qu’elle veut, où elle veut. Pas d’interviews, seulement des conversations informelles où, finalement, c’est l’essentiel qui ressort. Voici comment je les ai rencontrés…

Une éleveuse de chevaux qui amène ses chevaux de course de la Normandie au Minervois pour leur apprendre à vivre en troupeau pastoral, une sculpteure qui sculpte ceux qu’on ne voit pas – marins, détenus, religieuses dans les couvents, vieilles personnes en maison de retraite, un champion de boxe qui crée une mezzanine au-dessus du ring de sa salle pour offrir du soutien scolaire aux gamins, un boulanger qui fut marin, chimiste, apiculteur et qui dit qu’il oeuvre ses métiers, un chanteur qui écrit des chansons sur mesure pour les gens et les offres dans des lieux improbables comme des lavomatics, un paysan qui travaille sans moteur, par traction animale, et qui accueille des jeunes pour qu’ils viennent réparer leurs ailes blessées, autour de l’animal, du piano à cinq feux de la cuisine et du piano à quatre-vingt huit touches du salon. Un metteur en scène qui fait jouer des jeunes dans les quartiers difficiles, des SDF, des détenus, des malades psychiatriques, sur les plus grandes scènes. Un homme qui travaille au Samu Social et fabrique des automates valant des milliers d’euros, refuse de travailler avec JP Gauthier, efface les œuvres qu’il peint sur les murs de son appartement chauffé au pétrole en plein Paris…

Pour les découvrir rapidement, écoutez les extraits ci-dessous.

Ils ont su cultiver un autre rapport au temps, créer des ruptures et trouver leur calendrier personnel.

Ils cultivent tous la diversité : des matières, des publics, des lieux, des formats, des modèles économiques, des grains…

Certains arrivent à un moment de leur vie où ils ont envie de transmettre. Se dégage alors une autre conception de l’éducation, qui passe par le corps, l’expérience et l’autonomie.

Ils essayent tous d’être le plus autonomes possibles.

Avant de savoir ce qu’ils voulaient, ils ont commencé par savoir ce qu’ils ne voulaient pas/ce dont ils ne voulaient plus. Souvent savoir dire non est bien plus difficile que de dire oui.

Ils vivent très souvent en permanence avec l’incertitude financière. Ils ont des rythmes de vie parfois effrénées. Pourtant, il se dégage de chaque personne que j’ai rencontrée une grande paix. Celle qu’on ne trouve que chez ceux qui sont à leur place.

Serge le metteur en scène, Elie le chanteur, Cécile la sculpteure et Saïd le boxeur travaillent avec des personnes mises à la marge de la société : détenus dans les prisons, vieilles personnes en maisons de retraite, adolescents en soin psychiatriques, SDF, Kurdes ou habitants d’une tour en voie de démolition. Que cherchent-ils auprès de ces marginaux ? Et si c’était là, à la marge de la société, qu’ils retrouvaient le sens même de leur métier, de leur geste, de leur art ?

Ces personnes, aux six coins du pays, de toutes les générations, exerçant dans des milieux très différents, nous montrent qu’il est toujours possible de faire un pas de côté pour s’inventer une autre manière de vivre.

 

Comment les écouter ? Ces portraits sont diffusés dans le cadre des veillées de Sarah Roubato. Cliquez ici pour les découvrir et les diffuser dans votre coin. Pour écouter des extraits de chaque portrait, cliquez sur son image :

Olivier : habiter sa vie
Julien, musicien volant : construire des ponts
Cécile : trouver le bon geste

 

Elie, faiseur de petits nous
Alain, oeuvrer son métier
Said, devenir champion de sa vie
Hella, la liberté qui s’adapte
Serge, le théâtre côté marge
Leila, mère de vents et de marées
Flo, l’art de vivre

Les cinémas sonores : c’est quoi ? 

Aujourd’hui, on se réunit pour regarder un film ou aller voir un concert. L’expérience de l’écoute, du podcast ou de la musique, reste individuelle. Il est loin le temps où on se réunissait chez le voisin autour du poste de radio.

Pourtant nous avons soif de nous rencontrer autrement, loin du divertissement et du matraquage de l’image et de l’information. Alors pourquoi ne pas se réunir, dans votre salon, dans une cave, dans un café, pour écouter collectivement ces portraits et en parler ? Si vous souhaitez organiser une soirée, avec ou sans mois, écrivez-moi sur la page contact.

extrait d’un entretien avec Esprit Créateur

 

Je ne suis pas une femme qui écrit

Dans les milieux alternatifs, on se passionne très vite dès qu’une femme est élue, dans un pays ou une commune, à une haute responsabilité. Une double promesse est là : d’abord, rétablir une injustice. Les femmes ont longtemps été écartées des postes à responsabilité et continuent de l’être. Les femmes devraient avoir les mêmes chances que les hommes de nous représenter. Il n’y a là rien à dire, c’est une évidence. L’autre promesse, c’est que les femmes gouverneraient autrement, et mieux, parce qu’elles sont femmes. Elles sont du côté du consensus, du pacifisme, soucieuses de la vie, et un monde gouverné par les femmes serait plus paisible. Et quand on brandit les contre-exemples des Margaret Thatcher ou des reines et impératrices impitoyables ayant déclenché des guerres immondes, on nous dit que ce sont des femmes masculinisées. 

Il y a des jours où j’aimerais pouvoir me reposer dans le confort de ces certitudes. Avoir une représentation du monde bien simple, avec une frontière nette entre le bien et le mal, les dominés et les dominants, les pacifistes et les belliqueux. J’aimerais qu’on me dessine un monde pacifiste de femmes, toutes sœurs, respectueuses de la vie et des autres, et que j’y crois. Mais j’ai trop le respect de la vie pour lui faire l’offense de ne pas la regarder et en accepter la complexité, les paradoxes et les déséquilibres.

Je ne postulerai pas que toutes les femmes sont sœurs parce qu’elles sont femmes. Et si un homme, et un homme blanc, se mettait à défendre les idées dans lesquelles je crois, je n’hésiterai pas à voter pour lui. Les représentants du peuple ne doivent pas nous ressembler, ils doivent nous représenter. Je ne discriminerai pas un candidat par sa couleur de peau ou son genre, même s’il devait être un homme blanc.  

Dans les coulisses des mouvements alternatifs, des communautés féminines en tout genre se créent, animées par l’idée de créer une force de changement de société féminine. Au bout de deux, trois ans, elles disparaissent. Car – chose étrange et incompréhensible – ces dames se sont rendues compte que des conflits apparaissaient, des relations de pouvoir, des jalousies et des coups bas. Ô surprise ! Les femmes sont donc des êtres humains comme les autres ? Capables de coopérer quand c’est dans leur intérêt, prêtes à se combattre quand c’est dans leur intérêt. Au lieu d’attendre que les femmes soient sœurs parce qu’elles sont femmes, je préfère participer à réunir des personnes, quelque soit leur genre, prêtes à défendre l’égalité des chances entre femmes et hommes.

Je ne suis pas en train de dire qu’être femme ou homme, c’est pareil. Que tout est social et construit. Le rapport-au-monde d’une femme n’est pas le même que celui d’un homme. On ne peut pas le nier, mais on ne peut pas non plus tout réduire à ce seul élément. Comment faire ? Souvent quand un problème est trop complexe, j’aime m’en éloigner et aller chercher les mêmes mécanismes à l’œuvre dans une autre thématique. Le genre comme la couleur de peau entraînent une certaine relation au monde qui a une part biologique, et une large part culturelle. Une personne à la peau noire n’a pas le même rapport au soleil qu’une personne à la peau blanche. Le taux de mélanine a plusieurs conséquences sur nos corps. Cela, nous ne pouvons pas le changer. Mais le rapport-au-monde d’une personne noire aux États-Unis est socialement différent de celui d’une personne à la peau blanche. Martin Luther King disait : « White is a state of mind. Blanc est un état d’esprit. » De la même manière, une femme a ses cycles, des hormones différentes et ne vit pas le même rapport au monde qu’un homme. Mais une femme est aussi socialement déterminant. 

Je réécoute James Baldwin et le combat pour les droits des Afro-Américains. 1968, rencontre télévisée entre le philosophe Paul Weiss et James Baldwin. Weiss reproche à Baldwin de tout ramener à la race, comme s’il y avait fondamentalement deux groupes, les Blancs et les Noirs, alors que d’autres différences pouvaient être beaucoup plus importantes : la classe sociale, la religion, la forme du corps. Weiss rappelle qu’un universitaire blanc est bien plus proche socialement d’un universitaire noir que d’un ouvrier blanc, que Baldwin lui-même est un intellectuel appartenant à l’élite qu’elle soit blanche ou noire. « Vous n’êtes pas l’incarnation de la Négritude, vous êtes un auteur remarquable et je vous admire en tant qu’auteur, peu importe que vos ancêtres aient été vendus ou aient été les tortionnaires. » Baldwin répond qu’il emploie les catégories qui existent dans la société discriminante. Qu’il n’a pas le luxe de parler depuis un point de vue idéaliste. Que c’est la réalité qui le force à penser l’homme Noir et l’homme Blanc. 

« Je ne sais pas si la plupart des Blancs de ce pays détestent les Noirs. Mais je sais que les institutions de ce pays sont blanches, qu’il y a une église blanche et une église noire. Je ne sais pas si les syndicats de travailleurs me détestent, mais je sais que je ne suis pas dans leurs syndicats. Je ne sais pas si les lobbies immobiliers me détestent, mais je sais qu’ils me laissent dans les ghettos. Je ne sais pas si les responsables du système éducatif détestent les Noirs, mais je sais ce qu’il y a dans les manuels scolaires qu’ils donnent à mes enfants. Vous me demandez un acte de foi sur un idéalisme dont vous m’assurez l’existence, mais que je n’ai jamais vu. » (à écouter sous titrée ici)

Voilà toute la question : est-ce qu’on agit depuis le point de vue idéal ou depuis le réel ? Faut-il pour changer les comportements maintenir son exigence, ou forcer le trait pour un temps, pour rétablir l’équilibre ? Faut-il maintenir l’exigence de ne juger d’un candidat que pour ses idées, ou faut-il encourager les femmes candidates même si on ne les juge pas totalement compétentes, pour rééquilibrer l’offre politique ?  Je n’ai pas la réponse à cette question.

Voter pour une femme parce qu’elle est une femme est un affront que je n’ai pas envie de lui faire. Mais je ne peux pas regarder l’offre électorale comme si les institutions donnaient autant de chances aux femmes qu’aux hommes. Comme si une mère de famille qui se lançait en politique avait les mêmes chances qu’un père de famille. Ce dont je rêve n’est peut-être pas pour maintenant. Peut-être qu’il faut faire aux femmes l’affront de voter pour elles parce qu’elles sont femmes, quitte à mettre aux commandes des incompétentes, des manipulatrices ou des naïves. J’ai du mal à désirer une résistance qui reproduit ce qu’elle prétend combattre. Elle ne mérite même pas le nom de résistance. Elle n’est qu’un bidouillage. Peut-être une étape nécessaire comme le disent certains. 

Mais je ne veux pas perdre de vue mon idéal. Je souhaite voter pour la vision du monde qu’une candidate porte, pour le projet qu’elle construit, pour sa capacité à l’insuffler. Et si le fait d’être femme nourrit ses talents et sa vision, tant mieux, comme le fait qu’elle vienne peut-être de la campagne plutôt que de la ville, qu’elle ait vécu à l’étranger, ou que sa famille soit binationale. Je veux lui offrir la chance que son état de femme disparaisse dans sa candidature. Qu’elle puisse dire comme James Baldwin : « Je suis parti vivre en France car j’avais besoin de savoir où s’arrêtait le fait que je sois Noir et où je commençais moi-même. » Je veux pouvoir dire haut et fort qu’une candidate est mauvaise, sans me faire taxer d’anti-féministe. Je veux la respecter au point de ne pas lui épargner ma critique sous prétexte qu’elle est une femme. Et si face à elle se tient un homme compétent, posé, raffiné dans sa pensée et précis dans son projet, je n’ai pas envie d’hésiter.

Qu’une candidate fasse appel à son genre pour me séduire, est à mes yeux une dégradation de sa personne et une insulte à mon intelligence. Qu’elle prétende me représenter parce que nous sommes femmes est une insulte à ce que je suis. Car je ne suis pas que femme. Je suis femme, et bien autre chose. Mes affinités vont bien au-delà de mon sexe. Je ne suis pas une femme qui écrit. Je suis femme, et j’écris. 

Je ne suis pas une femme qui écrit

J’écris toujours par le milieu. Je vois mes personnage dans une certaine position, en train de commettre certains gestes. À une table devant son ordinateur près de la fenêtre, pour dire l’isolement derrière les écrans. À un balcon en train de fumer sa dernière cigarette, avant de reprendre un job alimentaire le lendemain. À la grille d’une école, à ne pas savoir comment son enfant est habillé. À la terrasse d’un café, gênés devant leurs verres qui ne se vident pas. Je les vois, ces gestes qui ont des formes humaines. J’essaye de saisir une situation, une relation particulière entre un individu et le monde. Une situation de rupture, de doute, de confiance, de colère, d’impuissance. C’est ça, que je veux rendre. Prélever directement le cœur d’une situation. D’où le personnage vient, ce qui lui arrive, s’il est issu d’une classe sociale aisée ou pauvre, s’il est blanc ou noir de peau, s’il est un homme ou une femme, c’est le dernier de mes soucis.

Je fais ce que je peux pour échapper à la description physique de mon personnage, pour éviter de lui donner un nom et une origine. Seulement j’écris en français. Et ce que je ne peux pas éviter, c’est de lui donner un sexe. Mon personnage doit être IL ou ELLE. Et presque à chaque fois, ce choix est forcé et sans raison. 

Une fille dévale les marches sans regarder autour et sans se soucier si elle fait du bruit. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas la fille, ce n’est pas de savoir qui elle est ni pourquoi elle quitte son compagnon. Ce qui m’intéresse c’est de saisir le moment de vérité ou on décide de partir, et où en descendant les marches, on sait que c’est pour ne plus jamais revenir. 

À la terrasse d’un café une femme attend un rendez-vous qui ne vient pas. Qu’elle soit une femme n’a pas d’importance. Ici c’est l’attente que je veux décrire. L’état dans lequel on se met quand on reste disponible pour une autre personne qui nous ignore ou nous méprise. 

Ces deux situations, tout le monde peut l’expérimenter, homme ou femme. Si je fais de ces deux personnages des femmes, alors je prends parti. Je défends une cause qui est celle des femmes maltraitées par les hommes. Créer un personnage féminin c’est avoir quelque chose à dire sur les femmes. Surtout aujourd’hui. 

Bien sûr il arrive que le genre s’impose. J’ai quelques personnages typiquement féminins : la fillette de neuf ans qui attend son mari la nuit de noces dans Son petit paquet d’étoiles, les mères autochtones venues sur la Route des Larmes pour pleurer leurs filles disparues au Canada, la vieille femme qui se met à nu sans gêne devant moi. Quoique ce qui m’intéresse chez ces personnages, c’est le processus de soumission, c’est le deuil impossible quand on n’a pas le corps, et c’est le rapport à la pudeur. 

J’ai des personnages masculins : le père qui attend son enfant à la sortie de l’école et ne sait pas comment il est habillé, le gamin congolais qui descend dans la mine (« Sourire de diamants », manuscrit inédit), l’homme afro-américain qui commence à avoir froid sur le bitume brûlant où le genou d’un policier le tient (« Froid sur le bitume », manuscrit inédit), scène que j’ai écrite cinq ans avant l’assassinat de George Floyd. Ces personnages racontent des injustices particulières vécues par des hommes. 

Et d’autres personnages masculins par défaut : celui qui change son statut Facebook quand il vient de renoncer à son rêve, celui qui vient d’apporter son trente-sixième C.V. et attend dans l’ascenseur, celui qui court une nuit et regarde sa vie du haut d’une colline dans un instant de vérité, celui qui quitte tout après un burn-out et ne veut pas qu’on le retrouve… Ces personnages ne sont des hommes que pour éviter d’en faire des femmes. Puisqu’on nous rappelle sans cesse que parler des femmes c’est parler des femmes, et que parler des hommes c’est parler d’humanité. 

Pendant des mois j’ai travaillé sur un manuscrit en laissant le nom d’un personnage enfant en blanc. À la fin, il fallait bien que je lui trouve un nom. Je l’appelais Sacha. Et je suis devenue spécialiste des tournures grammaticales en français pour éviter pour de genrer un personnage. L’expérience fut concluante : alors que rien n’indiquait le genre de l’enfant, tous les éditeurs qui lurent le manuscrit le prirent pour un garçon. En français, la neutralité est masculine. L’universalité est masculine. Qu’on se le dise. 

Je ne suis pas une femme qui écrit

Souvent quand on raconte une expérience extraordinaire qu’on a vécue, on oublie à quel point le chemin qui nous y a conduit était un petit sentier qui ne payait pas de mine. Comment me suis-je retrouvée à poser pendant trois jours dans l’atelier d’une sculpteure, petite maison au bout d’un chemin de terre dans un petit patelin de Normandie ?

Je n’ai pas vu ses œuvres. J’ai simplement entendu sa voix à la radio. Je revenais de Montréal, et prenais un petit déjeuner comme je pouvais avec mes six heures de décalage horaire. À la radio, j’entends une femme parler de sculpture et de peuples autochtones du Canada. Je prends en note son nom. Je cherche sur internet. Elle est sculpteure de terrain. Elle passe trois mois sur un paquebot pour sculpter des marins, sculpte des détenus dans les prisons, des adolescents en soin psychiatriques, des religieuses dans leur couvent, des personnes âgées en maison de retraite. Elle sculpte ceux qu’on ne voit pas. Et déjà le miroir est là.  

Je la contacte et lui propose de faire son portrait sonore. Elle me répond, et par chance, elle est de passage à Paris. Elle a pris le temps d’aller voir mon travail, elle est intéressée. On se retrouve dans un café près de la Gare de l’Est. Elle regarde souvent son téléphone. Elle attend une amie qui doit la rejoindre pour aller au théâtre. L’amie est bloquée en Bretagne par un accident de train. « Bon. Sarah, vous aimez Fabrice Luchini ? » Et me voilà assise sur les fauteuils rouges d’un théâtre près de Cécile.

Quelques semaines plus tard, je me retrouve dans son atelier. Car Cécile m’avait dit : « Que tu fasses un portrait sonore de moi… mouais. Par contre, si tu viens et que je fais ton portrait pendant que tu m’enregistres, là ça m’intéresse. » 

Venir dans l’atelier de Cécile, c’est s’offrir un temps incroyable de disponibilité à soi-même, dans l’immobilité et le silence, ce qui est rare dans une existence. Et pendant trois jours, deux femmes se sont tirées le portrait en même temps, face à face, se scrutant par les yeux et les oreilles, empoignant la silhouette et les mots, pour créer une femme de glaise et une parole de femme. L’une avec son tréteau et sa terre, encombrante, donne à voir le portrait qu’elle fait. L’autre, avec son petit micro discret, emporte une parole, et c’est dans le secret de son atelier qu’elle fera le portrait. 

Je ne suis pas du tout visuelle. Très peu sensible aux arts en deux dimension, à la lumière ou aux couleurs. Pas du tout adepte des panoramas. Mais j’ai toujours aimé les grottes, les pierres, la forêt et la montagne. Tout ce qui marque la roche, la terre sculptée par les vents et les eaux. Alors forcément, j’adore la sculpture. J’aime tourner autour, voir les jeux de lumière faire parler le bloc. Ce que mon corps peut bien raconter de moi, je n’en sais rien. J’ai un peu peur. Mon corps, je ne l’ai pas choisi. Ma voix non plus, vous me direz, et à vrai dire, je trouve que ma voix ne me va pas du tout. J’aurais dû avoir la voix profonde puissante et cassée de Chavela Vargas, celle toujours prête à se briser de Janis Joplin, l’éraillée de Joe Cocker ou la voilée de Bruce Springsteen, la puissante de Queen ou de James Brown. Tout sauf cette petite voix douce et lisse de gamine qui est bien loin de ma personnalité. 

Mais Cécile ne s’occupe pas de l’enveloppe. Elle sculpte ce qu’on ne voit pas. La petite fille qui vit encore dans la femme, la vieille personne qu’on sera peut-être. Et puis celle qu’on aurait pu être, celle qu’on aimerait être. Ces autres formes de nous qu’on laisse au seuil du réel. Elle sculpte les potentiels et les non-dits. Qu’est-ce que tu vas montrer de moi que je ne veux pas qu’on voit ?

Cécile se met sur la pointe des pieds, pivote, fléchit les jambes. Elle danse autour de sa pièce. Voilà qu’elle sculpte mon visage. Je ne vois que le sien, appliqué ou décontracté, tantôt grimaçant, tantôt souriant. Je fixe son visage qui fixe le mien… enfin pas le mien, le sien… celui qui sort de ses doigts. Juste à côté de l’atelier vit une famille d’étourneaux. Toute la journée on les entend aller d’un arbre à l’autre. Le contraste entre mon immobilité et leur fulgurance, entre le poids de la terre pétrie par Cécile et la légèreté de leur vol me plaît.

Rien n’est plus inconfortable que l’immobilité. Mais on finit par s’installer dans l’inconfort. Le deuxième jour, je me surprends à retrouver facilement la pose, comme si mon corps avait imprimé mon inconfort. Mes muscles s’installent dans leur courbature, et ils y sont bien. C’est lors de cette séance que la tête de la sculpture s’est penchée. Cette tête penchée, elle apparaît sur toutes les photos de mon enfance. Quelque chose s’est relâché. 

La sculpture commence à parler elle aussi. Il faut qu’elle parle mais pas qu’elle bavarde. Le sculpteur doit savoir où s’arrêter, pour laisser place au non-dit.

Troisième jour. La sculpture parle. Elle est puissante, totalement androgyne. Des pieds et des jambes qu’on prendrait tout de suite pour des jambes d’homme. Et en haut, un buste tout en fragilité et en volupté. Cécile me dit :

« C’est ce qui ressort quand je passe des moments avec toi. Il y a un volontarisme, une décision qui est prise d’avancer, quoi qu’il arrive. Un positionnement dans le monde qui est très masculin. Et en même temps, tu vois, ici, c’est d’une délicatesse, une féminité voluptueuse. J’aime beaucoup ce contraste-là. »

Je le savais. Venir ici, c’était se mettre à nu sans avoir besoin d’ôter ses vêtements. Pendant nos trois jours, nous n’avons jamais parlé d’androgynie. Je ne lui ai pas dit que j’aime serrer les mains et que je n’aime pas faire la bise, que je remplis mes poches pour éviter de prendre un sac à main, que je commande du rhum ou de l’armagnac plutôt que des cocktails, que j’adore parler des filles avec les hommes, que je m’identifie toujours à des personnages masculins, que j’aime les séries d’espionnage et de guerre mais pas du tout les séries sur des couples qui se font et se défont. Mais il n’était pas besoin de parler. Cécile a vu, et elle a donné à voir celle qu’on ne me laisse pas montrer.

Je finis ce texte alors que j’attends quelqu’un devant qui je ne peux montrer qu’une partie de ce que je suis. Pour ne pas faire peur. Parce que mon entièreté effraie, impressionne, fait reculer, inévitablement. On me l’a trop dit, et je l’ai trop vécu. N’en déplaisent aux belles phrases de développement personnel et de coaching de vie. Je ne fais pas semblant, je ne mets pas de masque, seulement je ne montre qu’un profil. Il n’y a pas trois personnes sur cette terre qui ont pris le temps de me regarder, en me tournant autour, pour vraiment me voir.

Je ne suis pas une femme qui écrit

Tous les métiers ont leurs mauvais clowns. Ces personnages typiques qui savent résumer en une réplique tout le dodu d’une pensée qui se roule dans les clichés et rote de bien-être. On les reconnaît souvent au premier coup d’œil, à la première réplique.  Et on s’empresse d’en rire de peur d’être obligé d’en pleurer. 

Silence. Hésitation. C’est fini ? Pas fini ? Pas de noir, pas de sortie  pour sonner la fin du spectacle. Oui, c’est fini. Applaudissements. Je salue. Ils sont si proches. Vingt-deux personnes serrées dans le salon de la dernière maison d’un petit hameau à la lisière de la forêt. Je viens de jouer une heure et demie entre le bout du salon et une partie du palier. J’ai bien aimé utiliser la rampe de l’escalier pour ma tirade de six minutes J’ai l’espoir qui boite. Mais la fin d’un spectacle à domicile est toujours un peu flottante. Pas de rideau, pas de loge pour se retirer. Il faut remercier, les inviter à me laisser leurs contacts, annoncer les prochaines dates dans le coin, parler des cd et des livres à vendre, avant qu’ils ne se ruent sur la nourriture et oublient tout. Puis c’est quelque chose comme : « Merci beaucoup ! Et bien maintenant on va ranger les chaises et il y a l’auberge espagnole ! ». Vite, ranger la guitare, le pied, l’ampli, le micro, les câbles, tout ce qui est fragile, les petits accessoires qui s’oublient et se perdent si facilement. Pas le temps de souffler, ni d’écouter ce qui se passe en soi. Tout de suite, parler, sourire, remercier, expliquer, aller à la table d’achat. Mais ce soir-là, alors que les derniers claps de main résonnent encore et que je viens à peine de relever la tête, pendant ce court instant de suspension, une voix s’élève, tranquille : « Vous ne chantez pas du fado ? » C’est un spectateur, arrivé avant les autres, qui était venu droit sur moi en me demandant : « C’est vous l’artiste ? Vous venez d’où ? » alors que j’étais en train d’essayer de faire tenir un accessoire en équilibre sur un meuble. J’avais répondu sans politesse. Le public est bien souvent étonnant, à vouloir qu’on fasse la causette juste avant de commencer un spectacle. L’homme s’est installé avant les autres, bien au centre. Il est resté les bras croisés tout le long du spectacle, en « connaisseur ». Pas un moment d’abandon, pas un frémissement. 

Les bras sont toujours croisés quand le « Vous ne chantez pas du fado ? » a été lancé par-dessus les têtes des spectateurs encore assis. La question arrive comme un plat d’anguilles sur une mousse au chocolat. Répondre ? Ne pas répondre ? Lui dire ce que j’en pense, de sa question ? Je réponds : « Non, je ne chante pas de Fado. »  L’homme répond tout aussi fort en se penchant pour ramasser son écharpe : « Ah dommage ! Ça vous irait bien. »

En quelques années j’en ai entendu de belles. On pourrait faire un livre de citations 365 citations à ne jamais dire à un artiste. J’ai le cuir épais. Mais celle-là me cloue. Le ton, l’attitude, le moment choisi pour poser la question, sans se déranger de son siège, par-dessus les autres. « Ça vous irait bien ». Je flaire de loin ce qu’il veut dire. Je sais que si j’étais un homme, elle ne se poserait pas. Seulement je suis une femme brune et de peau brune. Une source de fantasme culturel pour bien des gens, les hommes comme les femmes. Cet homme n’est pas l’original de la soirée que je n’ai qu’à balayer d’un revers de sourire poli. Non, il est le visage d’un instinct que je retrouve partout, chez les bonnes gens bien sympathiques et qui adorent mon travail. L’instinct de la carte postale. Quand ce qui est différent de soi, ce qui ne correspond pas à la norme, est soit méprisé, soit élevé au rang de fantasme exotique. 

Pas un spectacle sans qu’on m’ait dit que « Ça me va bien » de chanter en espagnol. Pourtant quand je chante en anglais, je me sens bien plus « chez moi ». C’est deuxième langue dans laquelle j’ai grandi. Mais une fille aux cheveux bruns bouclés et à la peau brune, forcément, ça « lui va mieux » l’espagnol. Le sud, les chansons d’amour et d’engagement, la force des r roulés et des voyelles bien ouvertes. Et comme on ne comprend pas bien le texte, c’est encore plus séduisant. L’anglais, c’est la langue commerciale, la langue des nouvelles technologies, la langue imposée partout. Elle est pourtant bien plus riche que le français. Oui : l’anglais a un lexique plus riche que le français, issu des langues latines et germaniques. Elle autorise la fabrication d’un nom d’un adjectif d’un verbe et d’un adverbe avec tous les mots. Elle a une tendance agglutinante qui lui permet d’enchaîner les mots sans connecteur logique, avec une économie de mots. Elle est bien plus musicale que le français, car elle a des accents toniques. L’anglais est une langue magnifique. Mais des trois langues que je chante, c’est l’espagnol qui me va bien !  Si je chantais en arabe aussi ça m’irait sûrement très bien. Le turc aussi. Tiens l’hébreu ! Et l’arménien, et le kurde, et le berbère ! Enfin toutes les langues de carte postale. Je me demande si ce Monsieur aurait demandé à une belle soprano blonde aux yeux bleus chantant de l’opéra italien : « Vous ne chantez pas du folklore scandinave par hasard ? Ah non ? Dommage ça vous irait bien ! »   

Je ne suis pas une femme qui écrit

« Madame, est-ce que je peux vous aider ? 

– Oui, bonjour, je cherche un pantalon noir évasé en 44 s’il vous plaît. Ou 46.

– Quarante-quatre ? Mais vous ne faites pas du 44 rassurez-vous ! On ne va que jusqu’au 42. »

Je m’attendais à la réponse. Mais pas à la protestation. Je fixe la jeune fille.

« Je vous assure qu’il me faut du 44, surtout avec les nouvelles tailles qui sont de plus en plus petites. Mais rassurez-vous, Madame, je vais très bien. »

Dans la rue, je souris et je m’en veux. Je savais bien que je perdrai mon temps à chercher un pantalon à Paris. J’ai dû attendre dix ans pour que la mode des pantalons évasés revienne. Au Canada, aucun souci. Et sinon je faisais le plein en voyage, à Marrakech ou Istanbul. Mais depuis que je suis en France j’en suis réduite à commander mes pantalons à Londres ou en Suisse. 

En France, les vendeuses continuent à dire le plus tranquillement du monde que « on s’arrête au 42 ». Et encore, ce 42, il faut le trouver, au milieu des dizaines de 36 et 38 qui envahissent toutes les rangées. « Les 42, ça part vite vous comprenez, on n’en n’a pas beaucoup. » Si vous n’avez pas l’argent pour aller au théâtre, allez donc vous poser dans les cabines d’essayage des magasins français. Vous serez servis. Qu’a donc la fille française, et particulièrement la parisienne, pour être aussi persuadée que la beauté s’arrête à un 38 ? Bien sûr la pression du monde de la mode est internationale, mais à Paris elle prend une ampleur maladive. 

J’ai toujours été un poupon puis une petite fille et une adolescente bien dodue. Pendant douze ans, j’ai continuellement été moquée. Par les filles, s’entend. En famille, j’ai connu les remarques à ma sortie d’avion :  « Dis-donc, tu as encore grossi. » Ce n’est qu’en partant au Maroc que je me suis rendue compte que mon corps pouvait être considéré comme un idéal d’équilibre des formes, avec ses hanches très larges de 1.13 mètres de tour, sa taille fine, sa poitrine très généreuse, l’arc cambré du bas du dos et les fesses très imposantes. Au Canada, j’ai appris que ce corps pouvait aller dans une salle de sport ou courir dans la rue, sans sentir sur soi les regards moqueurs. Je vis encore aujourd’hui sur un stock encore neuf d’une trentaine de culottes élégantes adaptées à une largeur de hanches et à une surface de fesses conséquentes, forme que je n’ai jamais trouvée en France. 

Quand il m’arrive de me retrouver dans un magasin, désireuse d’encourager la production française, je pose encore la question dont je connais déjà la réponse. Et là je brandis mon sourire épanoui de fille bien dans sa peau, et je suggère à la responsable qu’à force, ils nous feraient presque croire qu’on n’est pas normales. Elle se défend. « Mais non, mais non, mais… oui… c’est vrai… je sais… on n’y peut rien, ce sont les fabriquants… »

Je sors en remerciant. Et chaque fois je repense au souci de cette vendeuse qui voulait à me rassurer sur le fait que je ne faisais sûrement pas du 44 m’a ému. C’est moi qui suis désolée pour elle. Désolée qu’elle soit la portière d’un temple où des milliers de femmes viennent chaque jour se tordre dans tous les sens devant le miroir pour se convaincre qu’une chair gonflée, potelée, débordante, est une horreur à cacher. Désolée qu’elle vive dans un monde si étroit où l’estime d’une femme envers elle-même s’arrête à un certain tour de hanche.

Analyses

Dans ce pays, le rêve est difficile. Je ne parle pas du rêve qui chante derrière un slogan et s’éteint une fois rentré chez soi, une fois l’euphorie passée, ni de la vague envie qui dort dans un lieu qu’on appelle un jour, quand j’aurai le temps. Je parle d’un rêve qui s’implante dans le réel. Un rêve qui connaîtra des jours maigres, qui trébuchera, qui se reformulera. Un changement qui ne se déclare pas, mais qui s’essaye, les mains dans le cambouis du quotidien.

C’est un rêve moins scintillant que celui des cris de guerre et des appels à la révolution. Il ne produit qu’une rumeur qui gonfle, et vient s’échouer sur nos paillassons, à l’entrée de nos vies. Elle s’étouffera peut-être, à force de se faire marcher dessus par ceux qui ont plus urgent à faire.

C’est un pays où les gens passent plus de temps à fustiger ce qui ne va pas qu’à proposer des alternatives, où l’on dit plus facilement Le problème c’est plutôt que La solution serait…. Et pourtant écoute, dans ce pays comme dans tant d’autres, une rumeur se réveille.

Partout dans le monde, et ici aussi, des semeurs cultivent le changement. Manger autrement, se chauffer autrement, éduquer autrement, vivre ensemble autrement, s’informer autrement. Ils voient leurs aînés, leurs voisins de métro ou de bureau, n’être que les rouages d’un système auquel ils ne croient plus. Les miroirs sont brisés : les citoyens ne se reconnaissent plus dans leurs élus, dans leurs médias, dans leurs écoles. Pourtant ils votent encore sans conviction, regardent la messe du 20 heures et disent à leurs enfants de bien faire leurs devoirs. Il sera toujours plus facile de changer une loi que de changer une habitude, une indifférence ou une peur.

Et moi dans tout ça ? Moi la jeunesse, moi l’avenir, moi Demain ? On m’a collé sur le front bien des étiquettes, mais elles sont tombées les unes après les autres.

On me parle d’une génération Y, à laquelle j’appartiendrais de par mon année de naissance et mon utilisation supposée des nouvelles technologies. On me parle aussi d’une catégorie sociale basée sur mon statut économique : sans emploi, précaire, chômeur. On me parle aussi d’une communauté culturelle, basée sur le pays d’origine de mes parents, et on m’appelle alors Français d’origine…

Pourtant c’est loin de ces catégories que se retrouvent ceux qui font partie de ma génération, celle qui ne se définit ni par l’âge, ni par la profession ni par le statut socio-économique, ni par l’origine ethno-culturelle. Ils ont 9 ans, 25 ans, 75 ans, vivent au coeur de Paris ou dans une bergerie au pied d’une montagne. Ils sont ouvriers, paysans, professeurs, artistes, chercheurs, médecins, croyants ou athées; leurs origines culturelles chatouillent tous les points cardinaux. Qu’est-ce qui nous lie ? Qu’est-ce qui forme notre nous ?

C’est une posture partagée. Le geste que nous imprimons dans le monde, celui par lequel un sculpteur pourrait nous saisir. Notre génération sera peut-être celle qui voit ses pieds s’écarter à mesure que grandit une faille qui va bientôt séparer deux mondes. Celui du capitalisme consumériste en train d’agoniser, et l’autre, celui qui ne connaît pas encore son nom. Un monde où nos activités – manger, se maquiller, se divertir, se déplacer – respectent le vivant, où chacun réapprend à travailler avec ses mains, s’inscrit dans le local et l’économie circulaire, habite le temps au lieu de lui courir après. Un monde où les nouvelles technologies n’effacent pas la présence aux autres, et où la politique s’exerce au quotidien par les citoyens.

C’est un monde qui jaillit du minuscule et du grandiose ; du geste dérisoire d’un inconnu qui se met à nettoyer la berge d’une rivière aux Pays-Bas, et du projet démentiel d’un ingénieur de dix-neuf ans pour nettoyer les océans avec un immense filtre.

Chacun choisit son geste pour répondre à la crise : beaucoup attendent que ça passe, et ferment les yeux en espérant ne pas se retrouver sur la touche. D’autres, inquiets de voir s’amenuiser les aides et les indemnisations, s’acharnent à colmater les brèches d’un monde en train de se fissurer. Certains réclament un changement, en parlent, le marchent, pendant que d’autres, loin des mouvements de foule et des micros des grands médias, l’entreprennent chaque jour. Quand les deux se rencontreront ce sera peut-être le début de quelque chose.

Chaque jour, des milliers de personnes dans ce pays oeuvrent à construire l’horizon d’un autre demain. Ils n’ont ni porte-parole ni leader charismatique. Ils savent que le mythe de l’homme providentiel est derrière, et qu’il faut trouver autre chose. Nous sommes les enfants de l’individualisme : tout part d’un petit rêve à soi, pour soi. Et chacun dans son petit coin se met à creuser. Un jour son petit tunnel en croise un autre, et à deux ils arrivent dans une galerie. Alors le petit rêve mûrit et entre en relation avec d’autres. Et les individus reconstruisent du nous, du collectif, du vivre-ensemble, dans les galeries sous-terraines, sous l’arène politico-médiatique.

À mesure que s’amassent les ruines de notre système économique, de nos modèles de société, de

l’équilibre de la planète, quelque chose fait encore bouger le balancier. Des contre-forces émergent. Mais elles sont si disparates encore, et si nouvelles, que leur puissance est diluée. De fines percées de lumière dans une tempête qui ne cesse de grandir. Pourtant chaque jour elles deviennent plus intenses. Elles dessinent le squelette d’un autre demain. Mais j’ai peur que ce monde-ci n’attende pas. La destruction est une vieille fille, elle a de l’expérience, elle travaille bien plus vite que la création.

À la fin de chaque journée, je ressens toujours la même courbature. Je fais le grand écart, entre enthousiasme et désespérance. J’ai l’espoir qui boite.

Lettres sans réponse

Chère Greta,

Je ne sais si je suis en train d’écrire à un phénomène social, un produit médiatique, à l’incarnation d’une génération, au leader d’un mouvement, ou à une fille qui un jour d’école, a décidé toute seule a décidé de s’asseoir devant le parlement de son pays. Et à te dire la vérité, je m’en fiche. Je ne construis pas mes opinions sur celle des gens. Je ne me fais une opinion que sur ce que j’observe, ce que j’étudie et ce que j’expérimente. Mais peu importe ce que « Greta Thunberg » est en réalité. Elle est maintenant quelque chose qui compte et à qui nous pouvons adresser nos préoccupations. Comprends-moi bien, ce n’est pas une lettre de reproche ni de critique, ni un jugement sur ce que tu es ce que tu n’es pas ou ce que tu prétends être. Il ne s’agit pas de toi.

Il y a une semaine tu étais à Montréal devant 500 000 personnes marchant Pour le Climat, dans une ville de 1,78 millions d’habitants d’un pays (même s’il faudrait dire province) de 8,40 millions. À Paris, ville de 10 millions de personnes dans un pays de 60 millions, ils étaient entre 15 000 et 38 000 à marcher1. J’ai passé les deux moitiés de ma vie dans chacune de ces villes, et je ne suis pas surprise de la différence. En voyant les chiffres de ceux qui ont marché à Berlin ou Bruxelles proportionnellement, le pays qui se prend pour un leader un symbole de la lutte écologique aurait beaucoup à apprendre des autres peuples. L’année dernière, 100 000 personnes sortaient dans les rues de Paris pour célébrer la victoire de la Coupe du Monde. Voici la triste réalité, Greta : pour la plupart de nos contemporains, un ballon dans un filet est plus important que de sauver la planète.

« Ça fait du bien », n’est-ce pas ?

Comme tu disais en donnant les chiffres de la marche montréalaise, cela à dû faire du bien. Mais est-ce que la résistance est réellement une affaire de se sentir bien ?2 Est-ce donc un produit que nous devons rendre attractif pour que les gens se mobilisent ? Ou bien est-ce que la résistance consiste à comprendre les points faibles de l’adversaire et à mettre notre confort de côté pour être efficaces ? Bien entendu, si on peut avoir les deux, ce serait parfait ! Mais je ne me souviens pas d’une révolution dont la satisfaction soit que les gens se sentent bien. Évidement, se sentir unis est merveilleux et nécessaire à toute lutte. Mais c’est là sa condition, et non son but. Pourrait-on plutôt tirer satisfaction d’avoir fait quelque chose d’utile, même si c’est au prix de notre sécurité, de notre paix et de notre confort ?

Notre société a créé des individus en quête perpétuelle de leur plaisir, et cela jusque dans leurs révoltes. Quelle bizarrerie. Je me demande combien parmi le demi million qui a marché vendredi avec toi ont pris un café à la pause travail cette semaine, à la cafeteria, produit dans des plantations de monoculture. Combien ont mangé cette semaine une banane ou des bleuets du Mexique, comme en Europe nous mangeons des pêches et des tomates de cette terre de désolation espagnole, Almeria2 ? Combien sont passés au supermarché acheter des produits d’entretien pour la salle de bain, pour la cuisine. Combien ont acheté de l’essuie-tout3. Combien enroberont cette année leurs cadeaux de Noel dans du joli papier cadeau et combien planifient déjà leurs vacances dans un pays où ils iront consommer des restaurants des monuments et des hôtels. Et même parmi ceux qui font attention à chacun de leurs gestes, combien sont bien obligés d’avoir un téléphone portable contenant des métaux extraits par des enfants africains, combien doivent bien utiliser Google et Facebook, combien payent leurs impôts aux villes qui maintiennent les lumières allumées le soir, combien envoient des mails et sauvegardent leurs fichiers dans des clouds. La voici, cette vérité inexorable : nous sommes les enfants de ce monstre que nous combattons et que nous nommons néolibéralisme, consommation de masse, croissance infinie. Même les milliers de messages que nous envoyons pour organiser une marche pour le climat génère une pollution gigantesque dans les centres de données, ces bâtiments perdus dans des zones loin de tout et qui consomment tant d’énergie4.

Nous devons non seulement faire face aux puissants qui détruisent les habitats naturels pour exploiter plus de ressources, pour créer et transporter des biens de consommation, servant leur avidité, mais nous devons aussi faire face à notre propre reflet dans le miroir, et reconnaître qu’à chaque minute de nos vies, nous les aidons, nous les engraissons, nous les rendons plus fort, servant notre quête de plaisir et notre confort. Certains pensent que renoncer à ce confort signifie s’adonner à une vie de restriction et d’ascèse, ce que les gens des villes nomment vivre une vie simple. Mais c’est l’inverse : il ne s’agit pas de réduire notre plaisir et nos joies, il s’agit d’apprendre d’autres manières de cultiver notre plaisir et nos joies, non plus basés sur des plaisirs temporaires qui appellent d’autres besoins, mais basés sur la pure jouissance qui nourrit le corps l’esprit et l’âme.

/ AFP PHOTO / MATTHIEU ALEXANDRE

Ceux qui sont déjà sur ce chemin pourraient trouver injuste de nous flageller, alors que les premiers responsables sont les presidents des grands groupes et les gouvernements qui les soutiennent et les servent. Mais en temps de guerre, nous n’avons pas le temps de faire le tri des responsabilités. Chaque individu devrait être responsable pour l’humanité entière. Lorsque je sors mon sac de recyclage une fois par mois, et que je vois la poubelle du voisin pleine de cartons et d’emballages inutiles, puis-je vraiment rentrer chez moi et me dire Ce ne sont pas mes affaires, chacun est libre, chaque personne suit son chemin à son rythme. N’ai-je pas le devoir d’aller lui parler, d’amorcer un dialogue ? Pourrais-je dire tranquillement à mes enfants Moi j’ai fait ma part ! Nous savons que les petits pas ne sont pas suffisants. Mais tant que les individus engraisseront les entreprises qu’ils dénoncent en se disant qu’ils ne peuvent pas faire autrement, aucun changement ne sera possible. Ce que nous nommons le système n’est pas un monstre caché qui impose son règne sur des individus sans défense. Le système est le pacte que les individus font avec une série de croyances et leurs manifestations dans le réel qu’une poignée met en œuvre.

Je pose sur toi le regard d’une grande soeur. Non pas que j’ai la prétention de t’enseigner quoi que ce soit. L’âge n’a pas grand-chose à voir avec la sagesse. J’ai un peu plus qu’une décennie de plus que toi, et pourtant, j’ai l’impression que nous venons de mondes complètement différents, que nous voyons toutes deux le monde auquel nous aspirons s’évaporer, et que nous devons nous battre pour exister dans celui-ci. J’ai eu la chance de vivre une enfance sans internet, quand les téléphones ne servaient qu’à téléphoner, quand regarder un film, écouter de la musique, vérifier la météo, enregistrer quelque chose ou payer une facture, étaient des expériences totalement différentes. Puis à l’adolescence, internet et les petits écrans arrivèrent dans nos maisons. Et tout fut changé. Tu dois te demander ce que cela vient faire dans la lutte pour la protection du vivant. Et bien cette diversité d’expériences physiques nous a fait de nous des êtres sensibles au concret, à ce qui touche les corps et le réel. Je ne sais si tu t’es déjà interrogée sur le statut des trentenaires aujourd’hui. Nous vivons dans un monde où chaque génération est très isolée. Mais nous sommes dans une position très ambigüe dans cette société. Trop vieux pour en faire pleinement partie et trop jeunes pour avoir une place dans le monde de nos parents qui s’étiole. Je connais bien des trentenaires qui ont quitté le chemin qu’on leur avait tracé et dans lequel ils ont cru et sont devenus bergers ou artisans, construisent des maisons à énergie passive ou font pousser des plantes médicinales. De tous ceux que j’ai rencontrés et qui chaque jour oeuvrent, je n’en n’ai vu aucun qui participait aux marches pour le climat ou aux groupes en ligne pour sauver la planète. Ils n’ont pas le temps. Je crois que quand on grandit dans un monde où lire les infos, communiquer, créer un mouvement social, organiser une marche, se fait avec le même outil, où la popularité d’une nouvelle se mesure aux mentions j’aime ou je n’aime pas, les réponses virtuelles et les marches symboliques peuvent être interprétées comme un réel engagement. Seulement cette interprétation est culturelle.

Toute révolution a besoin d’un visage. Et même si les mouvements contemporains clament haut et fort qu’ils refusent la personnalisation, au point de nommer leurs membres intervenant dans les médias par le même prénom6, partout où tu te rends, Greta, la mobilisation augmente. Parce que nos démocraties ont échoué à établir un système juste de représentation des peuples, cela ne signifie pas que nous devrions renoncer à toute forme de représentation. Ce mouvement, donc, a ton visage. Et je regarde ce visage. Je ne vois pas de syndrome d’Asperger. Je veux dire par là que je le vois, mais tout comme je peux voir que quelqu’un a la peau noire, les cheveux blonds, des tatouages ou qu’il est aveugle. Cela ne contribue en rien à l’appréciation que j’aie de la qualité de cette personne. Je ne dirai pas le militant aveugle ou le militant noir. Je reconnaîtrai que son expérience en tant que noir ou en tant qu’aveugle a forgé sa vision du monde d’une manière que les « non Noirs » ou les voyants ne peuvent expérimenter, mais cela à mes yeux ne saurait lui donner ni lui retirer une légitimité. Mais c’est ainsi : les gens ont besoin de quelqu’un de « spécial » comme symbole. Je ne crois pas que tu sois plus spéciale qu’une fille de 16 ans qui aurait vécu dans dix pays différents, qu’une fille de 16 ans qui aurait élevée ses frères et sœurs à la place de parents déficients, ou qu’une fille de 16 ans qui aurait fui un mariage forcé. Mais si cela aide, allons-y, et ne perdons pas de temps.

Ce que t’écouter veut dire

Tu sais, les gens n’écoutent pas quelqu’un qui remettrait en question les fondements même de leur croyances et de leurs modes de vie. Seuls les sages le feraient, mais dans ce cas remettre en question les fondements de leur vie serait aberrant. Alors je me demande : est-ce que ces foules seraient encore prêtes à t’écouter si, après les avoir félicité de la beauté de leur geste, tu les mettais face à leurs contradictoires ? Est-ce qu’ils applaudiraient si tu leur demandais de commettre desactions sérieusement nuisibles à leur confort quotidien ? Si tout à coup tu faisais voler en éclat cette image d’Épinal des peuples qui ne demandent que le respect du vivant, face aux méchants puissants qui polluent et détruisent ? N’oublie pas, Greta, que derrière chaque sourire que tu vois dans les marches, il y a 10, 20, 100 personnes qui restent à la maison et s’en fichent. Si des milliers d’adolescents t’ont suivis, des millions vont toujours au McDo, disent que le Nutell c’est quand même trop bon pour arrêter, achètent les derniers vêtements fabriqués au Bengladesh et contribuent très consciemment à la destruction du vivant. Car nous avons inventé un être humain qui sait et qui ne fait pas. C’est peut-être là le grand accomplissement de ce siècle. Nous faisons face au fait douloureux que le changement individuel ne sera jamais suffisant, mais que sans lui rien ne sera possible. C’est notre force et notre alibi pour ne pas changer.

Je me demande aussi pourquoi ces représentants de l’ONU et des grandes organisations te reçoivent et t’écoutent ? Quel intérêt peuvent-ils bien y trouver ? Car il faut bien qu’ils y trouvent un intérêt pour te laisser quelques minutes de leur précieux temps. Sont-ils convaincus, mais si c’était le cas, comme tu le dis, nous en verrions la traduction dans des mesures. Sont-ils masochistes ? Ou bien acceptent-ils de jouer le rôle des méchants dans un spectacle médiatique, car ils préfèrent après tout des gens qui marchent dans les rues chaque mois avec de belles pancartes et de brillants slogans, que des citoyens qui cesseraient de payer leurs impôts ou leur facture d’électricité pour exercer une pression économique. Une fois que tu quittes la pièce, s’échangent-ils des sourires cyniques comme des parrains regarderaient par la fenêtre de leurs bureaux des enfants jouer à la guerre dans une cour de récréation ?

MONTREAL, QC – SEPTEMBER 27: Young activists and their supporters rally for action on climate change on September 27, 2019 in Montreal, Canada. Hundreds of thousands of people are expected to take part in what could be the city’s largest climate march. Minas Panagiotakis/Getty Images/AFP

Les mouvements sociaux contemporains passent énormément d’énergie sur le symbolique. Leur premier objectif semble être d’avoir un impact médiatique, car ils croient sincèrement qu’il suffira d’être visibles pour être efficaces. Mais notre monde est déjà rempli d’informations, de nouvelles quotidiennes, de haghtags populaires et de photos symboliques. Je ne dis pas que leurs actions sont inutiles, car les médias sont un pouvoir, tu en es la meilleure preuve. Je dis seulement qu’elles sont incomplètes. Voilà pourquoi je t’ai parlé du monde dans lequel j’ai grandi, où la différence entre le virtuel et le physique était claire. Aujourd’hui elle ne l’est plus. Si les Gilets Jaunes ont perturbé le gouvernement, c’est à cause des consequences économiques de leurs blocages, et non parce que leurs gilets jaunes étaient jolis à voir. Ta grève du vendredi était un véritable acte de désobéissance civile, car une élève qui sèche les cours s’expose à des sanctions et interrompt le cours normal de sa vie. Mais beaucoup de gens appellent désobéissance civile des actions qui ne les mettent en danger que pour quelques heures. Ils bloquent une banque et amènent des balais et des éponges pour « nettoyer » symboliquement la banque investissant dans des énergies fossiles7. Cela fait quelques articles dans les médias, ceux qui sont déjà convaincus applaudissent, les autres s’en fichent. Et après ? Après ils rentrent chez eux et se sentent bien. Les révolutions cherchent toujours à surprendre. Antigone a enterré son frère, bravant l’interdit royal. La désobéissance de Gandhi ne consistait pas uniquement à marcher et à s’asseoir, mais à boycotter les produits de la puissance occupante, ses institutions ses lois et ses impôts. Qui serait prêt à le faire parmi ceux qui nettoient les banques ? La définition que donne Thoreau de la désobéissance civile mériterait qu’on s’arrête sur chaque mot : « L’individu a obligation à ne pas être injuste et à ne pas offrir à l’injustice son soutien8. Thoreau a refusé de payer ses impôts pour protester contre l’esclavage, et pour cela, il a passé une nuit en prison. « Que votre vie soit la contre friction pour arrêter la machine. Je dois m’assurer de ne jamais, à aucun moment, participer à ce que je condamne. »

Tu as souvent rappelé à quel point la situation est critique, et que le temps nous est compté. Peut-être que nous n’avons plus le temps non plus de colorier des affiches et de mener des actions symboliques. Peut-être que ces marches pourraient être le ciment social qui amèneraient les gens à créer des groupes de travail et de discussion – et je parle de rencontres physiques et non d’interminables fils de discussion en ligne – et de mener des actions concrètes – et je parle là d’actions qui ne seraient peut-être pas agréables, mais qui exerceraient une réelle pression. Ton combat, notre combat, mérite mieux que de nourrir un enthousiasme médiatique. J’ignore si nous, enfants de ce système élevés dans l’individualisme, savons encore ce qu’agir collectivement peut vouloir dire. Si nous saurions nous organiser sans confondre distribution des rôles selon le talent de chacun et prise de pouvoir, sans confondre horizontalité et interchangeabilité des individus. Si la seule réponse que nous savons apporter aux menaces qui pèsent sur le vivant et de marcher et de nous sentir bien, d’écrire des slogans sur des cartons et d’en être satisfaits, alors je ne suis pas sûre que nous méritions le combat que nous portons.

 

 

 

 

 

 

 

1 https://www.lapresse.ca/international/europe/201909/21/01-5242206-casseurs-et-violences-assombrissent-la-marche-pour-le-climat-a-paris.php

2 https://lareleveetlapeste.fr/et-apres-face-a-lurgence-climatique-et-sociale-marcher-ne-suffit-plus/

3 https://www.hortidaily.com/article/9094630/almeria-s-agriculture-consumes-half-as-much-water-as-the-rest-of-spain/

4 https://www.sarahroubato.com/po/representation/

6 Henry David Thoreau, Civil Disobedience, 1849.

8 Henry David Thoreau, Civil Disobedience, 1849.

Agenda

Comment créer des soirées d’expression artistique qui ne soient pas le divertissement du soir ? Comment faire émerger une parole intime sans faire un cercle de développement personnel ? Comment envisager ensemble notre société sans entrer dans les échanges d’opinion des cafés citoyens ? Pour pouvoir définir ce l’on cherche à accomplir il est souvent bon de commencer par définir ce que l’on refuse. Retour sur ces vingt-sept soirées qui, du 28 septembre au 28 octobre, ont relié des centaines de personnes des Pyrénées aux Alpes françaises et suisses, en passant par des coins de Cévennes, de Tarn, de Provence et de Bourgogne.

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Qu’est-ce que j’ai fait pour mon rêve aujourd’hui et en quoi s’occupe-t-il de la beauté du monde ? C’est avec l’histoire de Pierrot, le vagabond parti marcher ses questions après avoir quitté une vie qui ne lui ressemblait plus, que s’ouvre chaque soirée de Sarah Roubato. Pourtant aucune ne se ressemble. Il n’y a pas de formule toute faite. Ce sont les gens, assis par terre sur un coussin dans une yourte ou bien sur des chaises bien serrées dans une salle de réunion, dans le canapé d’un salon ou sur le siège tournant d’un bar, qui tirent la discussion là où ils auront besoin d’aller.

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Tel est le principe de ces soirées qui combinent lecture, performance musicale, écoute de portraits sonores et parole. Que le centre ne soit pas l’auteur et son livre, mais le nous en train de se former. Que l’artiste ne soit qu’un passeur pour révéler, au détour d’une phrase, d’un mot, quelque chose qui dort au seuil du réel. Autour des lettres du livre Lettres à ma génération, de la lettre à un ado Trouve le verbe de ta vie, des portraits sonores L’extraordinaire au quotidien, et de quelques chansons, chacun est invité à exprimer des questionnements, des doutes, des espoirs, des coups de gueule, sur la société dans laquelle nous vivons, pour pouvoir en envisager une autre.

Y a-t-il du politique par ici ? IMG_9895

La question est revenue plusieurs fois. Elle longeait discrètement les conversations informelles autour du buffet ou du cendrier. N’y aurait-il pas quelque chose de politique dans ces soirées ? Mais au fait, que s’est-il passé au juste ? Des enfants, des adolescents, des adultes de plusieurs générations, aux vécus et accents différents, se sont réunis, pour écouter les paroles d’autres gens qui pourraient être leurs voisins, et pour faire le lien avec leur propre situation. Les uns ont constaté, les autres ont envisagé, d’autres encore ont questionné.

Un rêve, ça se construit d’après les représentations que nous nous faisons de notre société. Voilà pourquoi il faut d’abord modifier le récit que nous faisons de notre société, pour permettre à d’autres d’envisager d’autres possibles.

Tout commence par un silence gêné lorsque l’espace de parole s’ouvre. Puis quelqu’un ose : tantôt par une confidence intime et émue, tantôt par un avis déjà mûrement réfléchi qui a trouvé de quoi rebondir, tantôt un questionnement qui s’enfarge dans des mots encore trop jeunes.

IMG_9881Il y eut, d’ouest en est…

À Pau, une jeune femme qui a demandé : « Mais comment fait-on pour savoir ce qui nous manque ? ». Elle avait atteint tous ses objectifs : obtenir un CDI, acheter une voiture et un appartement. Et qui pourtant entendait des cordes grincer dans son ventre, comme Pierrot.

À côté de Albi, une lycéenne aux cheveux bleus qui apprend en autodidacte l’écriture, le dessin, le japonais et le manga, et qui tente de préserver sa soif d’apprendre dans tous ces domaines, dans le couloir étroit de l’orientation scolaire.

Pas loin de Lunel, un homme qui n’a pas pris la parole, mais qui confie après à quel point un portrait est entré en résonance avec lui, qui agit aussi à son niveau, avec les jeunes à travers le sport.

À Montpellier, un homme qui a ouvert la prise de parole en évoquant la qualité des silences et la nécessité de les autoriser.

À Manosque, une adolescente qui ne veut pas se laisser abîmer sa passion par une méthode d’enseignement qui ne lui convient pas, car elle a appris à regarder au-delà et à avoir une distance critique par rapport à l’enseignement.

Et puis il y eut tous les silences de ceux qui hochaient la tête, qui hésitaient, qui fronçaient les sourcils, qui souriaient. Il y a des gens dont la seule expression est l’écoute. Ils ne sont pas moins actifs que ceux qui parlent. Et ils sont absolument nécessaires, car leurs regards présents et alertes servent de balises à l’auteur en performance.

Des ressentis propres, des opinions singulières, des questionnements particuliers ont émergé. Mais le questionnement de chacun renvoyait à un questionnement plus profond, à un choix de société et de civilisation. À travers la diversité des situations, des régions et des cheminements, quelque chose de la France, de l’Occident, de notre époque, s’est exprimé. Et tout d’abord, le constat partagé que la plupart des individus vit dans un décalage entre ses aspirations et la vie qu’on mène. Parce que, convaincus que nous n’avons pas le choix, nous consentons à rester et à entretenir un système professionnel ou scolaire qui nous aliène. Alors, pourquoi rester ? La question a souvent été posée. Parce qu’on a peur. Peur de ce qu’on ne connaît pas et qui pourrait nous libérer, plus que de ce qu’on connaît et qui nous aliène. Or nos peurs les plus intimes nous disent quelque chose sur notre société. Nos peurs comme nos bonheurs sont définis culturellement par des normes sociales qui nous disent ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, ce qui est louable et ce qui est condamnable. Pouvoir discuter ensemble à la manière dont se reflète en nous ce qui fait notre société, ses maux, ses failles, ses forces, ses blessures et ses potentiels. Voilà qui semble bien être le début d’un acte politique citoyen. Propre à notre époque où l’étalon par lequel tout se mesure est l’individu.

Le spectacle des gens qui écoutent

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À chaque fois c’est un spectacle que personne ne soupçonne : un regard qui se perd dans son couloir émotif, qui en croise un autre le long d’un souvenir partagé, des têtes qui hochent, des rires qui se suivent, des silences qui s’entrecroisent, des larmes qui s’accueillent et se recueillent.

En pleine conscience de la présence des autres, les corps et les visages étaient visibles et non noyés dans une obscurité où chacun est livré à lui-même. Dans un cercle tantôt timide, tantôt pleinement assumé, ce dispositif permet aux gens de s’investir autrement dans la soirée.

 

De l’art sans divertissementIMG_9958

Quand nous allons voir un film, un concert, une lecture, que faisons-nous de la proposition qui nous est faite pour nos propres vies ? C’est là que le geste d’exprimer ce qui ne se dit pas prend tout son sens : ce moment où une phrase, une image, une émotion, passe par-dessus les rangées de fauteuils noyés dans l’obscurité, et vient se loger en nous, pour qu’on l’emporte comme la terre à ses souliers, qu’elle réinvestisse notre vie en nous la faisant visiter autrement. L’autorise-t-on seulement à nous suivre ? Se donne-t-on le temps de la ruminer ? Passée la porte du cinéma, de la salle de concert, quand nous rallumons nos téléphones et que nous passons si vite à autre chose, nous agissons en bons soldats de la société de consommation : se divertir, et oublier, pour avoir besoin à nouveau le plus vite possible.

L’enjeu de ces soirées, c’était de ne pas être un divertissement. D’engager les gens, par le corps, par la parole, par leurs silences, dans une écoute active où la proposition artistique rejoint tout de suite le paillasson du quotidien.

Une autre économie IMG_1954

Les lecteurs sont les agents de l’artiste. Ils deviennent passeurs, en proposant une soirée, en choisissant le lieu, en assumant la communication. Les soirées leur ressemblent. Distinguée, décontractée, chaleureuse, intime. Les uns offrent la soirée à leurs amis, les autres font participer. Les CD des portraits et des lettres sonores sont vendus sur place à prix libre. Comme toujours en autoproduction, l’enjeu est de se rembourser les frais. Puis de gagner de l’argent. Faire reconnaître que ce qu’on fait est un métier. Que si nous sommes dans une société où un café et une séance de cinéma a une valeur monnayée, un texte ou une chanson pourrait bien aussi en avoir. Si nous sommes dans un endroit qui le permet, alors on procède à des échanges de service, ou du troc. C’est ainsi que la voiture de la tournée s’est chargée d’une quinzaine de pots de confiture maison, de crème de marron, de miel, d’olives du jardin. Ils accompagneront l’auteure, comme le souvenir de ces rencontres privilégiées avec les passeurs, qui se déplient au-delà de la soirée.

Les passeurs des soirées : déjà des semeurs

IMG_1891Car cette tournée n’est pas une succession de performances artistiques. Passer ne veut pas dire ne pas investir un lieu, une région, un paysage. Entre deux points, la route peut bifurquer au gré des propositions du paysage : un champ embrumé du matin où les corbeaux surgissent, l’enseigne d’un café où la terrasse a l’air de chanter, une petite départementale qui offre des arbres généreux pour y casser la croûte. Tout simplement, être là, habiter le lieu et le moment. Pour quelques minutes ou pour plusieurs heures.

La rencontre avec les passeurs aussi s’investit et se déplient. Tard le soir en rangeant les assiettes, les conversations étirent la soirée. Ils vivent dans une yourte, dans une vieille ferme, dans une grande maison avec piscine, dans un petit appartement en centre-ville ou en banlieue. Les passeurs sont médecin, chevrier, ingénieur, vannier, thérapeute, chômeur, marionnettiste, expert en communication. Tous habités d’un même besoin de trouver d’autres manières de faire. Un besoin qui a parfois percé la coque du simple désir, qui est déjà mis en place, ou qui n’est encore qu’une vague idée.

IMG_1933Partager un petit moment leur quotidien, c’est découvrir leur rapport aux enfants, à l’habitat, à la nourriture, à ce qu’on appelle la culture. Entendre le processus du changement plutôt que le résultat. Car ces passeurs ne ressemblent en rien aux images de carte postale de l’alternatif qu’on nous présente parfois. Ils sont de plein pied dans la société. Ils font face à ses travers, ils font des compromis avec elle, et avec leurs habitudes. Ils vont à la rencontre de ceux qui ne sont pas encore dans cette remise en question. Ils ne vivent pas dans un entre-soi écolo hippie. Ils parlent de ce qu’ils font déjà, de ce qu’ils aimeraient faire, de leurs envies, de leurs frustrations. Ils sont parfois déçus par le nombre de chaises vides à la soirée, par ceux qui ont dit qu’ils venaient mais qui finalement avaient autre chose à faire, qui n’ont pas pris le temps de bien regarder de quoi il s’agissait, qui ne seraient pas venus s’ils ne les avaient pas appelés ou rencontrés. Ils rejoignent la préoccupation majeure de tout créateur aujourd’hui : comment faire venir les gens, les amener à se déplacer physiquement ? Comment communiquer dans un monde submergé de communication ? Comment engager une énergie, des frais de production, un travail, sans être sûr qu’il y aura une réponse ? Il y a un besoin, mais il n’y a pas de demande.

IMG_1923Car nous sommes pris dans une contradiction étonnante : il existe un besoin urgent qui se fait sentir dans toutes les couches de la société, d’autres manières de se réunir, d’envisager l’avenir, de faire, de travailler, d’éduquer, de manger, mais il n’y a pas de demande. Comme si nous étions si bien façonnés par la culture de la production économique, du bien-être passant par l’acquisition et l’accumulation du matériel, que tout pas de côté nous apparaît comme une déviance passagère, presque un effet de mode. Comme si nous ne savions plus regarder au-delà du pré jauni que nous continuons à brouter, et qui n’a besoin ni de chien ni de clôture pour nous y maintenir.

 

 

 

Où sont passés les hommes ?

Il serait malhonnête de faire l’impasse sur ce constat : des 27 passeurs de ces soirées, 26 étaient… des femmes. Dans toutes les soirées, les hommes représentaient entre 5 et 10% des personnes présentes. Où donc sont passés les hommes ? Les femmes seraient-elles de meilleures créatrices de lien social, sont-elles davantage dans une démarche de guérison que les hommes ? Sont-elles plus disponibles à parler de leurs ressentis ? Les femmes ne sont-elles pas plus présentes dans les activités dites culturelles – et les hommes, dans ce qu’on appelle la politique ? Il n’y a aucune fierté à en tirer. Seulement une brèche à colmater. De toute urgence. Car comment enfourcher sans les hommes et les femmes le cheval de bataille de tout changement social : l’éducation ?

L’éducation : au cœur de toutes les questions IMG_1790

« Pendant la campagne présidentielle on n’a jamais entendu parler d’éducation. Pourtant, pardon de le dire, mais le monde de demain, c’est nous, c’est pas eux. »

Voilà ce que dit un élève de terminale lors d’une rencontre autour des lettres. Un de ces adolescents absolument conscient d’être considéré comme une boîte qu’on gave de savoir, d’un savoir qui consiste à gober des informations et les recracher, plutôt qu’à développer l’intelligence, l’intuition et la créativité. Des professeurs contraints à appliquer un système de notation qui privilégie des compétences visibles et quantifiables, plutôt que des qualités d’adaptation, de compréhension et de critique. Son enseignante, descendue de l’estrade pour se mettre au milieu de ses élèves, leur confie qu’elle se sent piégée dans un programme qui ne correspond pas à ce qu’elle aimerait enseigner et à ce qu’elle sait être leurs besoins.

Ils sont peut-être plus nombreux qu’on ne le pense, ces élèves et ces professeurs, enfermés dans le carcan d’un système qui les aliène, et qui nous confisque la possibilité de forger une autre société par ceux qui la feront demain. Il serait peut-être temps de les écouter, et d’envisager avec eux comment s’affranchir.

Et après ? Propositions pour aller plus loin

livres cdLes soirées en appellent d’autres. De nouvelles formes sont à inventer. Les textes vivent avec et sans son auteur, en virtuel et en physique. Voici quelques idées pour faire vivre ces textes :

– organiser, sur une base régulière ou occasionnelle, des séances d’écoute collectives sans l’auteure, une pure diffusion, comme un cinéma des oreilles. Des portraits et des lettres sonores (cliquez sur les mots en gras) peuvent être achetés en ligne. Une rencontre par skype avec l’auteur pourra être organisée.

– accueillir le spectacle Lettres à ma génération dont vous trouverez ici des extraits de la première :

– Diffuser la Lettre à un ado Trouve le verbe de ta vie dans des écoles, des formations de réorientation pour adultes, des salles de profs, organiser des rencontres réunissant élèves parents et corps enseignants. Cette lettre sera prochainement éditée en petit livre qui sortira au printemps 2018 et sera en vente autour de 5 €. Pour réserver le livre (sans achat) contactez-moi. Une nouvelle version sonore sortira début 2018. Si vous souhaitez diffuser cette lettre sous une de ces formes contactez-moi ici

Merci pour tout ce qui est encore à venir ! Capture d’écran 2017-11-03 à 03.46.53Capture d’écran 2017-11-03 à 03.44.11

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Agenda

Nous sommes assis en cercle dans le hall d’un théâtre, sur des coussins dans un salon, dans une salle de classe ou dans une bergerie. Le temps d’une lettre, d’un portrait ou d’une chanson, chacun prend le temps de se poser à la terrasse de lui-même.

Que sont ces soirées ? Une performance musicale, une lecture littéraire, un débat citoyen, une écoute sonore ? Un peu de tout, selon ce dont les gens ont besoin.

Aucun des destinataires des lettres ne peut répondre – Zola, internet, mon indifférence, Blanche-Neige. Alors ce sont les gens venus écouter ces lettres qui vont le faire. Ils sont de la génération qui ne se définit ni par l’âge, ni par la catégorie socio-économique ni par l’origine ethnoculturelle. La génération du Grand Écart, (cliquez sur ce titre pour écouter le texte).

Depuis octobre 2o16, les Lettr2-soirees-lecturees à ma génération s’invitent dans les cafés associatifs, les fournils, les fermes, chez les gens, autant que dans les bibliothèques, universités ou théâtres.  Chacun se creuse un couloir imaginaire pour suivre la voix. Puis, un échange de regard, des sourires, des hochements de tête…

À l’automne 2017, c’est au tour des portraits sonores L’extraordinaire au quotidien. Cliquez ici pour accéder à la  carte interactive.

Au printemps 2018, une nouvelle tournée se profile, avec de nouveaux portraits et un nouveau livre, Trouve le verbe de ta vie. Cliquez ici pour en savoir plus. Capture d’écran 2017-08-13 à 00.39.48

Aujourd’hui l’expérience radiophonique ou de l’écoute pure est solitaire. Les gens se réunissent pour aller voir un concert, un film, une conférence. Il y a toujours du visuel, et la séparation physique entre audience et objet regardé crée une déconnexion entre les auditeurs. Dans ces soirées, nous sommes ensemble autour d’une voix, en présence physique. Les regards se perdent dans un couloir imaginaire, rebondissent, se rencontrent, rient ensemble, les têtes hochent, les sourcils se froncent.

Derrière cette initiative, il y a aussi la volonté de ne pas séparer d’un côté la culture – objet de divertissement du soir – et de l’autre les actions citoyennes. Parce que l’acte même d’écrire pour dire la société où nous vivons, pour nous tendre les miroirs que nous fuyons, pour envisager d’autres possibles, est déjà un engagement, qui appelle à la discussion avec les citoyens.

Le centre de ces soirées n’est ni l’auteur ni son livre. C’est le nous qui se construit autour des textes, des portraits, des chansons. Il ne s’agit pas de poser des questions à l’auteur sur sa démarche, son style ou son parcours.  Chacun est invité à rebondir sur une lettre, à déplier ce qu’elle suscite en lui d’interrogation, d’inquiétude, de volonté, d’espoir, en exprimant son vécu et ses envies. Proposer aux gens autre chose que de gober du savoir ou du divertissement. Quand on referme un livre ou bien la porte d’un théâtre, d’une salle de concert, d’un cinéma, qu’en fait-on ? Est-ce qu’on s’accorde le temps de faire résonner une œuvre avec nos propres vies ?

Quelques témoignages de la première tournée des Lettres à ma génération, automne 2016

Les lecteurs sont les agents, les organisateurs et les passeurs de ces soirées. Un autre rapport au public, un autre modèle économique aussi, à inventer ensemble.

Partout où je suis passée, dans les élites diplômées, dans les banlieues défavorisées, dans les départements les plus pauvres, dans les villages de campagne, j’ai vu des gens de tous les âges qui ont soif d’autre chose. Soif de se parler, soif de ne pas rester devant leur télé à regarder le monde se disloquer, à se recroqueviller dans sa bulle en espérant passer au travers et soulager ses angoisses dans le divertissement du soir. Les jeunes ont bien compris que le monde est différent de ce que l’école leur annonce. Les adultes savent que la société où ils vivent n’est pas celle que les médias leur racontent. Alors quand on leur offre un espace et un moment pour se rencontrer, ils le saisissent. De quoi parlent-ils ? Des changements qu’il est urgent d’entreprendre. Beaucoup de leurs phrases m’ont marquées et j’en déplie à mon tour quelques unes.

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Suis-je quelque chose en dehors de mon métier ?

Ils ne veulent plus se définir exclusivement par leur métier. Pouvoir envisager d’autres réponses à la question Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? que Je suis [mon activité économique]. Ceux qui ont la chance d’avoir pour métier leur passion sont rares. Pour tous les autres, la pression constante à se définir par son activité économique est étouffante.

Quand un individu s’engage dans une association, une coopérative, un club, il définit son rapport à la société et sa volonté d’y agir. Quand il fait du théâtre de la musique, il exprime des peurs et des désirs enfouis au plus profond de nous. Quand il voyage ou pratique un sport, il inscrit son lien physique à la planète, aux êtres et aux éléments. En quoi ces activités seraient-elles moins importantes que celle qui lui permet de payer son loyer et ses biens ? Désaxer l’individu de son métier, pour lui redonner sa pleine dimension de citoyen et d’être humain, c’est ce à quoi beaucoup des gens que j’ai rencontrés aspirent.

Et si on proposait aux adolescents de trouver le verbe de leur vie, plutôt que le métier ? De leur demander s’ils veulent exprimer, aider, découvrir, innover, chercher, transmettre, guérir, réparer, défendre, faire entendre ou faire voir ? Ce verbe qu’ils pourront appliquer dans différents métiers auxquels les hasards de la vie les mèneront. Alors les parcours ne seront plus si chaotiques, et la diversité des expériences sera enfin valorisée.

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C’est quand je suis multiple que je me sens entier

Ils sont de plus en plus nombreux à ne pas vouloir s’enfermer dans une seule carrière, un seul parcours, un seul profil. Peut-on reconnaître qu’un individu est multiple et changeant ? Qu’une personne qui aura été ingénieur, intervenant social puis marin et boulanger, n’est pas dispersé ou instable, mais au contraire incroyablement riche. Que les personnes multi-potentielles sont aussi précieuses que les spécialistes ? Alors nous écoutons

Faire tomber les catégories

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Ils ne veulent plus être appréhendés comme un Français d’origine pour certains, comme une génération Y pour d’autres, comme scientifique ou comme littéraire pour les étudiants. Ces catégories par lesquelles l’école et les grands médias parlent d’eux ne sont pas celles par lesquelles ils se pensent ni par lesquelles ils agissent ou se rencontrent.

 « Tout commence à l’école »

Je n’ai jamais lu la Lettre à ma maîtresse à aucune soirée. Et pourtant chaque soir, on a fini par parler éducation. Ils ont envie d’une école qui construise des individus sur une autre base que celle de la compétition, qui reconnaisse la musique, le sport, les arts, comme des matières essentielles à la construction et à l’équilibre d’un individu capable de vivre en société. Ne plus opposer les matières sérieuses et celles qui ne seraient que des loisirs qu’on pourra consommer comme divertissement. Ne plus considérer les langues étrangères comme une menace pour la préservation de la langue française

Je veux agir… mais je ne sais pas comment

Changer radicalement de vie ou instiller de petits changements progressifs, changer le système de l’intérieur ou en inventer d’autres, aller voir ailleurs. Autour des Lettres, chacun peut interroger son positionnement dans un monde qui change.

Ouvrir de nouveaux espaces de parole

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Il suffit de se mettre en cercle et de s’écouter pour constater le décalage entre la représentation de notre société que nous imposent les grands médias – les Français sont frustrés, déçus, bloqués dans des archaïsmes, en échec, déprimés – et le terrain, où les gens sont prêts à accueillir les initiatives des semeurs qui, les mains dans le cambouis du quotidien, construisent une autre manière d’enseigner, de consommer, de s’informer, de produire de la culture, de vivre ensemble. Si seulement on les informait autrement.

Et quand des lycéens de seize ans écrivent à leur tour une Lettre à l’enfant échoué sur une plage, Lettre à mes révoltes, Lettre à la rue, ils nous montrent qu’ils ont quelque chose à dire sur la société qu’on leur présente et sur celle qu’ils veulent inventer. À nous de leur donner l’espace pour le faire.

Ces soirées sont organisés par les lecteurs. Alors n’hésitez pas à devenir les passeurs d’une soirée de lecture participative, dans votre salon, dans une bibliothèque ou un théâtre, un fournil ou une ferme. Comme la lettre sur Mediapart a existé grâce au million de lecteurs venus la lire pendant trois jours. Inscrivez-vous sur cette carte pour la tournée de 2o17 .

 

Lettres sans réponse

Chers lecteurs, chers auditeurs, chers passeurs,
Depuis octobre, les Lettres à ma génération sillonnent la France… et quelle France ! Bien loin de celle dont les grands médias nous dressent le portrait. Partout, des faiseurs d’un autre demain, des gens qui s’interrogent et se remettent en question, essayent et ratent, réessayent, labourent l’inconnu, recalibrent leur temps, remettent à l’heure leurs dépendances, recentrent leurs priorités. Des lecteurs devenus passeurs qui m’ont accueillis dans des cafés, des bibliothèques, des granges, des fermes, chez eux en centre-ville ou dans un hameau de montagne.

mafalda styloArtistes, créateurs, diseurs du monde, nous devons réinventer nos métiers et nous réapproprier de nouveaux espaces, et de trouver de nouveaux modèles économiques pour vivre. Dans ce nouveau système, c’est vous, lecteurs et auditeurs, qui devenez les agents, les relais, les distributeurs, de nos oeuvres.

À l’heure où nous avons de plus en plus besoin de nous réapproprier la parole citoyenne et notre vivre-ensemble, je vous propose de participer à une expérience inédite.

Organisons une grande tournée à l’automne 2017 !

Invitez vos amis, collègues, famille, voisins, dans votre salon, atelier, grange, fournil, et organisons ensemble pour l’automne 2017 une grande tournée de rencontres/performances à domicile dans toute la France, autour des Lettres à ma génération (cliquez pour en savoir plus) et des portraits sonores L’extraordinaire au quotidien. (cliquez pour en savoir plus). Une rencontre faite d’écoute et de parole, un acte politique au sens premier, pour adultes et ados, grands parleurs et grands écouteurs, esprits pleins de certitudes et âmes pleines de questionnements, autour de ces personnes chez nous, autour de nous, qui mènent leur vie en dehors des chemins tous tracés.

Que vous soyez dans une grande ville ou dans un hameau de montagne, n’hésitez pas ! Je me déplace aussi en Belgique Luxembourg et Suisse. Ces soirées peuvent prendre la forme d’une auberge espagnole où chacun amène quelque chose à manger, ou bien d’un partenariat avec des producteurs locaux qui viendraient faire partager leurs productions, tout est possible !
D’autres lieux sont bien entendu envisageables.
CONTRIBUTION DEMANDÉE : pot de confiture, miel du pays, corbeille de fruits de saison ou toute autre petite succulence de votre cru, ou 5 euros par personne.
NOMBRE DE PERSONNES : minimum 10, maximum ce que votre salon peut accueillir !
BESOINS LOGISTIQUES : un système de son pour diffuser les portraits et les bandes sonores

Comment devenir passeur ?
 
1. Vous inscrivez dès maintenant votre salon sur cette CARTE EN CLIQUANT ICI: tapez une adresse (vous pouvez indiquer une adresse approximative) et cliquez sur la goutte – ajouter un repère.
Capture d’écran 2017-04-23 à 14.26.54
 
2. Contactez-moi via le formulaire de ce site en me précisant le lieu, période possible, mail et numéro de téléphone.
 
3. Je trace des itinéraires possibles pour vous relier les uns aux autres et je vous proposerai des dates.
 
Au plaisir de vous rencontrer !
signature Sarah NB
Analyses

Il y a eu le Père Noël et la Petite Souris. Les princesses et les princes charmants, les pauvres toujours gentils devenant riches, les méchants toujours punis. Aujourd’hui, il y a la croissance, l’économie de marché, le rêve d’un monde où le bien-être des individus est réduit à leur force de consommation. Plus récemment, il y a eu le mythe des deux France.

Comme tous les enfants, j’ai développé l’art de mentir entre deux et cinq ans. J’ai su pratiquer le mensonge bien avant de savoir l’identifier chez les autres. La parole des adultes est longtemps restée sacrée. Plus tard au collège et au lycée, on m’a appris l’analyse de texte, la déconstruction, l’argumentation. On m’a donné les outils pour mettre à distance un discours, le contextualiser, le soupeser, le faire passer à l’épreuve des faits et de l’argumentation. De quoi préserver “cette espèce de petite liberté de penser tout seul” comme disait Georges Brassens.

Des histoires, on a continué à m’en raconter. Distillées en formules simples, reprises et commentées, compressées dans les formats toujours trop courts des débats médiatiques. Durant la longue campagne présidentielle que nous avons connue, jusqu’aux récentes législatives, un mythe s’est glissé un peu partout, culminant dans le débat du second tour : celui des deux France. La formule est passée comme une lettre à la poste. Une simple expression reprise dans les discours de nombreux politiques et commentateurs. Comme une évidence qu’il faudrait accepter sous prétexte que tout le monde en parle.

Il y aurait donc deux France : celle de l’ouverture et celle de la fermeture. Celle des vainqueurs de la mondialisation néolibérale, et celle des déçus, des exclus, des vaincus. Les uns urbains, optimistes, progressistes, europhiles, bobos, élites diplômées. Les autres, habitants des périphéries, défaitistes, réactionnaires, eurosceptiques, populaires. Les uns tournés vers l’avenir, ouverts sur le monde, multiculturalistes, acceptant le changement. Les autres tournés vers le passé, nostalgiques d’une France immuable empêtrée dans une identité figée. Les uns portés par la foi dans l’avenir, les autres habités par la peur.

J’ai toujours ressenti un certain malaise devant les schémas binaires. Peut-être parce qu’ils sont faits pour être confortables. Peut-être parce que quiconque se frotte à la réalité toute quotidienne des gens ne peut que retenir la complexité, la variation, l’ambivalence des opinions, des ressentis et des actions.

Le schéma binaire des deux France est d’une infinie tristesse. Il s’adresse à ce que nous avons de plus pauvre en nous. Nous n’aurions que deux choix : l’abdication devant le monde tel qu’il est, ou la nostalgie d’un monde révolu. La mondialisation néolibérale, ou le nationalisme traditionnel. Que chacun choisisse son camp. Si vous avez le malheur de ne pas vous reconnaître dans cette alternative, considérez que vous faites partie d’une frange trop insignifiante de la population pour qu’on daigne la représenter. Qu’à cela ne tienne, permettez-moi de consacrer cet article à décrire la posture inconfortable de ceux qui zigzaguent entre les deux pôles d’une histoire binaire.

2 france 1  Les européistes et les eurosceptiques

Permettez-moi de ne pas choisir entre le défaitisme et l’acceptation aveugle de l’idéologie néolibérale. Permettez-moi de m’inquiéter des dérives de la mondialisation néolibérale, dont l’Union Européenne est l’un des bras armés, sans envisager un repli total sur une nation fermée. Permettez-moi de souhaiter une autre Europe que celle du libre échange, des lobbyistes et des paradis fiscaux. Remettre en question le fonctionnement de l’Union Européenne, sa raison d’être et ses limites, c’est lui donner une chance d’avenir autrement.

Permettez-moi de ne pas considérer le contrôle des frontières comme un terrorisme de l’exclusion, mais comme la condition pour pouvoir accueillir dignement ceux qui fuient des conflits auxquels nos dirigeants contribuent, par ingérence, complaisance ou indifférence.

Les nostalgiques et les progressistes

Permettez-moi d’avoir vingt ans et d’admirer le temps où la communication n’était pas envahie par les écrans silencieux. Permettez-moi de regarder avec envie l’époque où la manipulation de chaque machine produisait un son particulier et engageait un toucher propre. Et de m’attrister de l’appauvrissement du rapport à la machine réduit à un glissement de pouces.

Permettez-moi de trouver le son analogique d’un vinyle ou d’une cassette plus vivant que le son numérique. Permettez-moi de préférer la caméra d’un Raoul Sangla à tous les effets des caméras qui filment aujourd’hui des émissions de variété. De préférer les silences d’une Denise Glaser au mattracage de questions vides des shows télévisuels.

Permettez-moi de considérer que certaines choses étaient mieux avant. Non pas parce que c’était avant, mais parce qu’aucune époque n’a le monopole du progrès. Ce n’est pas être nostalgique que de considérer qu’il devait être mieux le temps où les artistes avaient le temps de mûrir sur scène et les journalistes le temps de partir en reportage plusieurs semaines.

Permettez-moi de chercher à reproduire la qualité de l’échange qu’autorisait ces technologies du passé, dans les technologies actuelles.2 france 3

L’identité française ou le multiculturalisme

Permettez-moi d’être transculturelle et résolument française. Parce que, d’où que viennent mes parents, j’ai la capacité de faire mienne l’histoire de France. Permettez-moi de me sentir chez moi dans les voix d’un Brassens, d’un Coluche ou d’un Renaud, autant que d’un Moustaki, d’un Reggiani ou d’un Gainsbourg.

Permettez-moi de souhaiter la reconnaissance des différences, des singularités, de la diversité, clé de l’équilibre de tout écosystème, et de me battre pour le respect du pacte républicain qui fonde la communauté à laquelle j’appartiens qui se nomme France. Permettez-moi de prendre le droit de questionner l’autre, de l’interroger, de le critiquer, de débattre avec lui sur ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas, pour l’inclure dans un nous et faire société avec lui.

Permettez-moi d’avoiCapture d’écran 2017-06-28 à 21.39.28r grandi dans un bilinguisme français-anglais et de m’étonner de certains anglicismes des français non anglophones. Permettez-moi pourtant de ne pas considérer l’apprentissage de l’anglais comme une menace à la maîtrise du français.

Permettez-moi de me laisser traverser des langues que je parle, et des cultures dont elles sont les portes d’entrée. Permettez-moi de souhaiter à tous les enfants de France d’avoir la chance de grandir dans deux langues, pour se forger ce muscle qui permet de mettre en perspective son chez-soi.

Permettez-moi de quitter mon pays pour aller puiser dans d’autres sociétés des modèles d’éducation, de rapport à l’environnement, aux autres générations, et de réfléchir à un moyen d’en adopter certains éléments dans mon pays.

Permettez-moi d’aimer mon pays de toutes mes forces, tout en relativisant sa prétention à l’universalité. De souhaiter son rayonnement sans encourager l’esprit de supériorité des français, bien connu à l’étranger.

Permettez-moi de situer mon appartenance à plusieurs échelles : régionale, nationale, humaine. Permettez-moi d’envisager une appartenance qui dépasse les frontières nationales avec ceux qui partagent mes combats et mes espoirs, sans nier les frontières nationales et culturelles. Permettez-moi de cultiver le métissage qu’une vie passée en partie à l’étranger m’a apporté, tout en reconnaissant mon héritage propre à un territoire. Et de voir dans les peuples créoles les modèles de cet équilibre.

L’élite parisienne ou la France profonde

La campagne présidentielle a fait ressurgir le mythe d’une France profonde, représentée par un candidat à l’accent impossible, censé la représenter. Cette France de la ruralité et des terroirs, désertée, vieillissante, repliée sur elle-même. Pourtant, des Pyrénées aux Alpes, de la Méditerranée à la Manche, j’ai trouvé dans des fermes, dans des associations locales, dans des hameaux, dans des centres sociaux, des jeunes d’origines diverses, diplômés, inventifs, entrepreneurs, désireux de mettre leur créativité et leur force de travail au service d’un mode de vie respectueux du vivant, et parvenant à créer avec les locaux, les bases d’un nouveau vivre-ensemble rural.

2 France2La jeunesse désœuvrée des périphéries et la jeunesse mondialisée diplômée des grandes villes

J’entends parler d’une opposition entre la jeunesse diplômée des grandes villes heureuse de la mondialisation, et la jeunesse désoeuvrée des périphéries. Quel badge dois-je porter, moi qui viens d’une élite parisienne mais internationale, qui suis passée par Henri IV et qui fréquente les ouvriers et les paysans, moi qui ai bifurqué des couloirs trop étroits où me voie semblait tracée ?

Je fais partie de ces jeunes qui sont allés étudier à l’étranger. Pourtant, j’ai connu les petits boulots pour payer mes études, le renoncement à acheter un carnet de métro pour pouvoir se payer des voyages afin de me forger une vision du monde, les semaines à manger des patates et à acheter ses vêtements à l’Armée du Salut.

Qu’est-ce qui définit mon appartenance à la jeunesse élitiste ou à la jeunesse désœuvrée ? Mon revenu, mon niveau d’études, les kilomètres que j’ai parcourus, mon mode de vie ? J’ai vu des jeunes diplômés ignorant le monde et sa diversité, et des jeunes sans un sou l’ayant parcouru.

noe-pc27-1964Quelle valeur peut avoir mon cas singulier ? Il ne pèse sans doute pas assez lourd pour faire mentir les schémas sociologiques. On dit que l’exception confirme la règle. Exceptio probat regulam. Mais comme le rappelle Ambrose Bierce dans son Dictionnaire du diable, probat signifie éprouver, mettre à l’épreuve. Une exception ne valide pas la règle dont elle est sortie, elle la met à l’épreuve. Alors, toute petite exception que je sois, permettez-moi de mettre à l’épreuve l’histoire qu’on nous raconte, celle des Deux France, qui nous condamne à subir ce qui est ou ce qui fut, au lieu de créer ce qui pourrait être autrement.

 

Sarah Roubato a publié

 

 

couv Nage de l'ourse

Trouve le verbe de ta vie ed La Nage de l’Ourse. Cliquez ici pour en savoir plus. Cliquez sur le livre pour le commander chez l’éditeur.

 

 

 

 

 

 

 

livre sarah   Lettres à ma génération ed Michel Lafon. Cliquez ici pour en savoir plus et lire des extraits. Cliquez sur le livre pour le commander chez l’éditeur.

 

 

Lettres sans réponse

Marcher, pour ne pas mourir. Fuir le froid, la sècheresse, la perturbation d’un territoire, le manque de nourriture. Tout quitter pour mieux vivre ailleurs. Pour donner une chance à ses petits. C’est la force qui a permis a toutes les espèces de peupler la terre… En cette journée internationale des réfugiés, voici une lettre tirée du livre Lettres à ma génération, ed Michel Lafon

Si vous avez 6 minutes, cliquez sur l’image ci-dessous pour écouter la lettre en entier : Capture d’écran 2017-06-19 à 18.07.18

Si vous n’avez qu’une minute, cliquez ici pour en écouter un extrait :


Si vous souhaitez la lire :

Echo,

Quelques esprits tristes me disent qu’il est ridicule de vous écrire une lettre, car vous ne comprenez évidemment pas le français. Laissons-les. Vous avez été l’éléphant le plus filmé au monde. Vous connaissiez bien la caméra, sans savoir ce qu’était un film. Disons que c’est l’endroit où je vous ai rencontrée.

Vous savez, cette femme blonde qui arrivait avec sa jeep et passait ses journées à vous regarder ? Cynthia Moss. Pendant plus de trente ans, elle a fait partie de votre paysage. Et vous du sien. Chaque jour, elle se réveille éléphant, elle sourit éléphant, elle espère éléphant, elle pleure éléphant, elle s’endort éléphant. Ces gens-là sont un peu à part, car ils passent plus de temps avec des êtres qui ne sont pas de leur espèce. Du matin au soir, tous les jours de la semaine, ils observent, jumelles dans une main, carnet dans l’autre. Des mois de recherche pour récolter des bouts d’information minuscules qu’ils mettront des années à assembler. Ils vivent dans un autre temps.

Léguer, c’était là votre ultime épreuve. Une matriarche doit transmettre son savoir pour assurer la survie des siens. Il ne suffit pas de faire, il faut encore transmettre. Première leçon. Grâce au travail de Cynthia et des caméramans qui sont venus vous filmer, vous léguez aussi quelque chose à notre espèce. Chez nous, c’est ce qu’on appelle un testament. Mais nous le réduisons à un inventaire et à une intention de division des biens matériels. Nous ne signons pas de testament spirituel.

echo ely erin
BBC, Echo of the elephants

Quand votre fils Ely est né, il ne pouvait pas se lever. Ses deux pattes avant étaient pliées. La loi de la nature voudrait qu’une mère abandonne son enfant s’il ne peut pas marcher. Toutes les mères éléphants jusque là observées le faisaient. En tant que matriarche, vous aviez la responsabilité du groupe, et de vos deux premiers enfants. Pourtant, vous êtes restée. Et pendant trois jours, vous avez essayé de relever votre fils.

Il faisait chaud. Votre fille Erin avait soif. Elle hésitait. Elle a fini par s’éloigner. Mais en entendant le bébé crier, elle est revenue en courant, et ne vous a plus lâchés. Dans ce geste et dans l’acharnement de votre petit à vouloir se lever, votre héritage se transmettait déjà. Le troisième jour, les pattes avant de Ely se sont dépliées. Épuisé, il a levé la tête et a trouvé votre mamelle. Ely est devenu un mâle magnifique. Vous leur avez montré que tout éléphant qu’on est, on peut s’arracher aux lois de son espèce. Pas pour les trahir. Pour les réinventer.

Quelques années plus tard, Erin a été touchée par une flèche empoisonnée. Cette fois, vous avez fait le choix de continuer à marcher. Je ne sais pas comment se présente à vous un tel choix. Vous n’avez sûrement aucune notion de ce qu’est la raison. Mais vous avez bien eu conscience de quelque chose qui était plus important que l’élan qui vous ramenait vers votre fille mourante. Ce jour-là vous étiez bouleversée. Votre visage suintait, marque d’émotion intense chez les éléphants. Et vous avez réussi, Echo. Votre petit-fils est devenu le plus jeune orphelin à avoir survécu.

Flavio FlickrCCVotre famille marche encore sur les routes que vous lui avez montrées. Des pistes de milliers de kilomètres que les hommes commencent à peine à cartographier. Les éléphants avancent avec cette fausse lenteur qu’ont tous les géants.

Robert Capa

Marcher pour ne pas mourir. Fuir le froid, la sècheresse, la perturbation d’un territoire, le manque de nourriture. Tout quitter, pour mieux vivre ailleurs. Pour donner une chance à ses petits. C’est la force qui a permis à toutes les espèces de peupler la terre. Elle habite les oies, les papillons, les baleines, les gnous, les tortues marines, les éléphants… et les hommes.

Robert CapaQuelque part, un sac dans une main, un enfant dans l’autre, nous marchons aussi. Chassés, réfugiés, migrants. Puis installés, résidents, méfiants envers les nouveaux déplacés. Comme nous, vous avez des territoires à protéger. Vous prenez possession d’un point d’eau et vous le défendez contre les intrus. Chez vous aussi il y a les dominants et les dominés, mais vous avez su trouvé l’équilibre entre le territoire des uns et la route des autres, tous deux nécessaires à la survie de l’espèce. Nous, on cherche encore.

 

 

livre sarah

Sarah Roubato a publié Lettres à ma génération chez Michel Lafon. Cliquez ici pour en savoir plus et lire des extraits. Cliquez sur le livre pour le commander chez l’éditeur.

Sarah Roubato organise une tournée cet automne, pour y participer cliquez ici.