Écrire une infolettre

Ca y est c’est fait ! Dernière relecture du texte. Voilà deux semaines qu’il se contorsionne dans ma tête. En fait il est né bien avant, il y a deux mois peut-être, en tournée. La route déclenche des phrases, tellement que je ne peux pas tout noter. Comme à chaque fois je me suis dit qu’au retour je noterai tout. Et puis j’ai eu des mails à envoyer, d’autres à renvoyer, à me rappeler au bon souvenir des gens. J’ai dû noter à la va-vite une ou deux phrases. Mais la musique du texte est restée sur le chemin. Il a fallu qu’une actualité vienne la réveiller. Entre temps, l’idée a rencontré d’autres personnages, d’autres situations. Le texte avait pris du coffre avant que je l’écrive.

Alors avant même de passer quelques heure sur le papier, l’essentiel était fait. Ça épuise quand même. On en sort avec l’envie de pousser le cri de la victoire, de se rouler par terre, de le faire entendre à la terre entière. Mais bon il n’y a personne autour. Alors on se contente de bien enregistrer le fichier. Je vais pouvoir me mettre au piano, ou à un autre texte qui déjà cherche à percer sa coquille. Ou bien faire un travail qui me repose les méninges. Mince… faut faire la prochaine infolettre. Allons-y ça ne devrait pas prendre trop de temps.

Il faut  relire le texte, trouver des phrases qui vont donner envie de le lire… travail d’éditeur. Pas trop long, pas trop court, juste ce qu’il faut… ne pas tout dévoiler. J’ai fini par apprendre que les passages que je trouvais les mieux écrits n’étaient pas forcément ceux qui donnaient envie de lire.

Ouvrir le logiciel, rentrer ses codes, ouvrir un template… remettre le logo, l’annonce pour faire un don, insérer un titre… et une image. Merde l’image… qu’est-ce que je vais bien pouvoir trouver ? Et pourtant, c’est elle qui va faire que lese gens vont s’arrêter et lire, et peut-être cliquer… Recherche sur internet : non pas ça… non… quelque chose dans ce genre, mais pas tout à fait… il faudrait quelque chose qui ressemble à … ah oui où est-ce que j’ai vu ça déjà ? Bon au pire on retouche… Image trouvée. Insérer l’image, la réduire, mince elle est vraiment trop volumineuse… ou pas assez…

Rédiger une introduction en italique. Quel ton pour aujourd’hui ? Confident, léger, grave ? Les secouer, les caresser, les attendrir  ? Signature en bas à droite… et programmation. Quelle date? Attends… qu’est-ce que j’ai prévu pour la semaine d’après… ah oui. Mince ça ne va pas ces deux là d’affilée. Alors si je mettais celle-ci ici et celle-là plus tard… dans ce cas il faut reprogrammer la publication sur le site… aller zou.

Programmée ! Ouf ! Allez il ne reste plus qu’à préparer la publication facebook pour annoncer ce nouveau texte… Nouvelle sélection. Accrocheur, concis, simple. L’horloge de l’ordinateur marque 2 heures de plus. Ce n’est pas possible… deux heures pour écrire une infolettre. Après ça, plus d’énergie pour retourner au manuscrit.

À ce jour j’ai 1300 personnes sur l’infolettre. 1300 adresses ajoutées manuellement en recopiant les emails laissés à chaque soirée des tournées. Un certain nombre ne la recevra jamais, car j’ai beau agrandir la consigne d’écrire en majuscules à chaque nouvelle tournée, je continue à n’avoir que des adresses écrites en minuscules. Et allez faire la différence parfois entre un l et un i, m et n … et oui, ça ne tient qu’à ça, de garder contact. Pour d’autres, l’infolettre arrivera directement dans leurs spams. Il faudrait que j’envoie un mail direct à ces 1300 personnes pour leur demander de vérifier. Plus tard, pitié, plus tard…

Si c’est un bon jour, cette infolettre sera ouverte par 25% des destinataires, 5% cliqueront sur un lien, et 0 laisseront un don. Ce sont de bons chiffres, m’ont dit des spécialistes de la communication. « C’est vraiment bien en fait ! Mais tu fais ça toute seule ? » Oui je fais ça toute seule oui, et je ne sais pas jusqu’à quand.


Notre époque a créé le mythe mais aussi la rélité de l’artiste-indépendant-autonome qui-peut-tout-faire-tout-seul-et-se-faire-connaître-de-sa-chambre. Ce faisant elle a fait de nous des machines à communiquer, à poster, à rappeler,  des mendiants de clics, qui ne sont que quelques secondes dans la ballade virtuelle de leurs lecteurs. Et qui en plus, vous demandent quelques euros, le prix d’un café ou d’un sandwich, pour qu’ils puissent continuer.

On peut toujours continuer à faire des films biographiques sur ces artistes qui passaient leurs nuits et leurs jours penchés sur leur travail, épuisés, courbaturés, sortant de là un chef-d’œuvre. On ne pourra certainement pas faire de tels films sur les artistes de notre époque. 

Rejoindre la discussion

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.