Montréal, quelques heures après le précédent morceau
Salut Pierrot,
À la sortie du théâtre, j’ai entendu quelques personnes se questionner : « Bon alors c’est qui ce Pierrot ? Il chante ? Ah alors c’est un auteur compositeur interprète ! Un artiste, un vrai ! »
J’imagine que la chanson, vous l’avez pratiqué d’abord comme on panse un bobo avec ce qu’on a sous la main. Écrire, chanter, s’exprimer. Et puis partager. Alors les bars, et puis les scènes. Puis son propre bar, sa propre scène. Et puis… et puis quoi ?
Le partage qui devient une performance ? L’émerveillement qui se fane dans l’habitude ? Le chemin qu’on nous dit le seul : spectacles, albums, promo, affiches, démo, agent, presse…
Alors tu as ramené la chanson à la petite vie des gens de peu. Des gens qui ne vont pas forcément aux spectacles. Vous l’amenez comme les médecins de campagne dans le temps se déplaçaient avec leur trousse de médicaments. Une chanson sans billet de spectacle, sans diffusion, sans programmation, sans applaudissement.
Vous savez, c’est ça à l’origine, la musique et la poésie. Pour appeler les esprits, la pluie, pour se donner du courage avant la chasse ou la guerre ou avant la nuit de noces, pour accompagner les morts, pour soigner, pour consoler, pour partir ailleurs. Je suis partie pendant sept ans, treize fois, pour aller écouter les chansons des femmes à la rivière, au tapis, les chants du berger, dans les montagnes du Maroc. Mais vous savez quoi, Pierrot ? Leurs lanternes s’éteignaient. Ils ne racontaient plus, et chantaient bien moins. Bien sûr à force de me voir revenir, ils ont rallumé une belle lanterne. Trois jours durant, il y eut un feu de joie, un grand événement de poésie de contes de chants.
Mais je devais reprendre ma route. Et aujourd’hui le feu est éteint. On ne peut que rallumer le feu des autres, mais c’est à eux de l’entretenir, pas vrai ? Et notre feu à nous, qui va le nourrir ? Je me souviens de cette question :
« Est-ce que l’univers va s’occuper de moi comme je m’apprête à m’occuper des autres ? »
On s’en parle au prochain morceau !
J’ai bien hâte