Le 7 juillet 2015
Monsieur Zola,
Vous avez écrit :
« Chaque fois qu’un jeune homme de province tombe chez moi pour me demander conseil, je l’engage à se jeter en plein dans la bataille, dans le journalisme… Combien je le préfère dans la lutte quotidienne qui seule fait connaître les choses et les hommes ! … On dit que la presse en vide beaucoup de ces jeunes gens : sans doute, mais elle ne vide jamais que ceux qui n’ont rien dans le ventre. »
Que pensez-vous de la presse d’aujourd’hui ? Vous aviez perçu la force naissante de l’opinion publique au moment de votre combat pour Dreyfus. Les débats se faisaient alors dans les journaux. Les écrivains y avaient des colonnes entières pour parler de la société, hors des rubriques littéraires. Même les futurs dirigeants politiques écrivaient. Aujourd’hui ceux-là qui prétendent représenter le peuple et s’adresser à lui n’écrivent plus leurs propres discours. Aujourd’hui c’est ceux qui n’ont rien dans le ventre qui publient. De l’information, des résumés, des compte-rendus. Et ceux qui ont quelques chose dans le ventre ont… les cheveux blancs.
Et certains d’entre eux daignent me rencontrer, c’est pour me dire « Ah il y a dix ans, c’est sûr que vous auriez eu votre chance… », « Merci pour votre article mais nous ne prenons pas de pigistes », « Votre message a bien été reçu. Si nous ne donnons pas suite… ». La plupart du temps, on ne lui dit rien. Les journaux indépendants sont à l’agonie. Restent les blogs et les journaux en ligne qui prennent son travail sans le rémunérer, contre une « visibilité ». Quand écrire n’est pas un passe-temps mais une raison d’être et un métier, doit-on accepter de se retrouver dans les blogs des lecteurs ? Figurez-vous, il y a un an, un jury d’une radio communautaire m’a dit que mon émission était refusée car « faire réfléchir un artiste à sa démarche, ça le mettrait mal à l’aise. » Il faut rester dans l’information et la promotion. Vous l’aviez d’ailleurs pressenti :
« Là est la formule nouvelle : l’information. C’est l’information qui, peu à peu, en s’étalant, a transformé le journalisme, tué les grands articles de discussion, tué la critique littéraire, donné chaque jour plus de place aux dépêches, aux nouvelles grandes et petites, aux procès-verbaux des reporters et des interviewers. Il s’agit d’être renseigné tout de suite. »
Tout de suite, voilà le mot d’ordre. Court article visible sur le iphone, à la pause déjeuner. C’est que les gens, Monsieur Zola, ne lisent plus de longs articles. Voyez, je suis obligée de couper cette lettre en morceaux pour être sûre qu’elle soit lue en entier.
À demain donc