Ce qui nous arrive

Le soleil tape, il fait noir. Noir de monde sur la grand place. Les marchands crient pour nous attirer vers leurs échoppes colorées, pour y goûter les jus pressés, les gaufres, le blé d’inde grillé, les crêpes, les fruits colorés. Les musiciens chantent un peu plus fort à notre approche, les peintres agitent leur pinceau, les serveurs des restaurants font le gué à l’entrée, les mendiants poussent leur plainte. Ici le vrai et le faux font des coudes pour rejoindre le touriste. Du haut de leurs siècles, les bâtiments de la place tiennent le coup, impassibles, ils en ont vu des scènes, se jouer sur cette place. Ils connaissent toutes les générations de ses acteurs. Les commerçants et les acheteurs venus du monde entier, les artistes, les endimanchés, les gitans, les vagabonds, les mendiants. Place de commerces, place d’artistes, place de promenade royale.

Mais de quelle place parle-t-on ? Ce pourrait être aussi bien la Grand Place de Bruxelles ou de Cracovie, la place Taksim à Istanbul, Jemaa el Fna à Marrakech, la place St Marco à Venise ou la triste place du Tertre à Montmartre. Pourtant la Belgique, la Pologne, la Turquie, le Maroc, l’Italie, la France, ce sont bien des pays distincts, avec leur histoire et leur culture propre. Et c’est justement ça qu’on vient voir : la bohème de Montmartre, le moderne et le traditionnel d’Istanbul, le Maghreb coloré de Marrakech.

Pourtant, une fois rentrés chez nous et les centaines de photos classées dans un dossier, que nous reste-t-il comme souvenir ? L’histoire de la place parcourue le matin dans le guide, la litanie des dates dans l’audio-guide ? Il reste d’abord la foule, le bruit incessant, le mouvement, l’appel à consommer du folklore, du rustique, de l’exotique. Les spécialités locales vendues trois fois plus chères que dans les petites rues. Est-ce que le jus d’orange pressé est vraiment sans sucre ajouté ? Est-ce que ce henné qui sèche trop vite est vraiment traditionnel ? Est-ce que la pâte à gaufre ou à crêpe est achetée toute faite ? Puis de la place part l’artère principale, écrasée par les commerces aux lumières agressives, mêlant des fast foods locaux aux Starbucks, McDo, grandes marques du prêt à porter, histoire de ne pas être trop dépaysé. Rassurez-vous, vous êtes bien sur votre bonne vieille planète. Pas de vacances pour la consommation.

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Marrakech est bien rouge, Paris est grise, la place St Marc a ses pigeons et Taksim a ses chats. Mais toutes ces places finalement se ressemblent. Vidées de leur spécificité parce qu’on y vend partout la même expérience dans un périmètre nettoyé. Les grands places de Bruxelles et de Cracovie ont perdu leur majesté, la place Jemaa el Fna et la place du Tertre ont perdu leur bohème. Les jus d’orange et le faux henné ont remplacé les conteurs, les terrasses ont poussé les peintres. Les biologistes sont en train de réaliser certaines découvertes d’espèces rares ont mené à leur extinction. Comme si la plus grande marque de respect était peut-être de regarder de loin, et de passer son chemin, sans troubler la beauté que l’on a la chance d’admirer. La rencontrer, oui, mais sans la posséder et sans la violer.

Venez consommer l’authentique, et bonnes vacances !

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