Je ne suis pas partie remplie du rêve américain. Pourtant, c’est vrai, ça soulage, ces gens sympathiques, de bonne humeur, où tout le monde se tutoie et tout le monde est gentil. Seulement au bout d’un moment, on se rend compte que cette gentillesse ne sert pas partout la générosité, la compréhension, l’entraide. Elle est une fin en soi, une façade à maintenir. Elle isole les individus au lieu de les réunir, parce que l’usage qu’ils en font les exempte de se confier, de s’exposer, de se mettre à nu.
J’ai séjourné chez des gens qui n’étaient pas hospitaliers. Mais gentils. J’ai participé à des conversations qui s’arrêtaient dès que le débat commençait, car on disait gentiment : « C’est bien, on a tous des opinions différentes ». J’ai fait des rencontres avec des gens extraordinaires qui disparaissent le lendemain, sans raison. Et gentiment. J’ai été emportée par l’enthousiasme de personnes devant un projet à mener ensemble, qui quelques jours après, changeaient d’avis, le sourire aux lèvres. J’ai vu des amitiés n’être que la consommation commune de la fête.
Je n’ai rien à apporter pour démontrer qu’il y aurait, derrière ces clichés et ces vues d’ensemble, une vérité, dont la valeur dépasserait celle de mon expérience personnelle. Autre chose que « Chacun son expérience ». Une vérité sur la culture nord-américaine. Bien sûr que chaque individu est différent, bien sûr on trouve des gens superficiels partout. Bien sûr que la gentillesse est une qualité partagée sur la terre entière, et qu’elle est nécessaire. Seulement l’usage qu’on en fait se situe par rapport à une norme sociale. Dans beaucoup de pays africains, par exemple, la gentillesse est très liée à l’obligation d’hospitalité. Toute personne respectable se doit d’accueillir convenablement n’importe qui. On pourra dire qu’elle est superficielle, cette gentillesse. Elle me gêne moins que celle qui sert à ne pas s’exposer.
Les qualités humaines sont universelles, mais l’usage que chaque individu en fait se situe par rapport à des normes culturelles. Ce sont ces normes que les pays, les religions et les peuples fabriquent. On peut s’en détacher, les remodeler à notre manière ou les accepter. Elles forment un éventail de possibilités. Et ce sont bien tes possibles, chère Europe, qui m’ont façonnées, et qui me manquent. Ce que tu peux offrir. Ce que tu ne dois pas perdre.
Ta fidèle, de l’autre côté de l’Atlantique