Entre 2h et 3h du matin, heure perdue la nuit du changement d’heure
C’est un paysage qui touche à sa fin avec les bourgeons du printemps. Entre les branches des arbres, se découvre un paysage habituellement caché par la végétation. De là, je vois un paysage qui ne se dévoile qu’en hiver. Une montagne enneigée, un lac, un coteau. Les paysages de l’hiver sont riches et généreux, pour qui sait les regarder.
Je me demande si nous savons encore voir la force du dénuement. Je pense à la puissance de la parole que faisait émerger Denise Glaser dans son émission Discorama : deux tabourets, l’échelle du studio, et rien. Rien qu’un visage. Je pense à la force d’un Gérard Depardieu seul sur scène chantant Barbara de sa voix qui ne chante pas. À celle d’un Mime Marceau que je découvrais lors de son dernier spectacle, qui, à quatre-vingt ans, tenait une salle comble par son seul corps, dans la poésie du silence.
Je pense à la force qui se dégageait dans l’atelier de Cécile où pendant trois jours j’ai posé pour qu’elle me sculpte. Je pense à cette parole qui de dévoile dans les veillées, quand les gens se déposent dans l’écoute de portraits sonores. Qu’ils sont là pour écouter ensemble, sans visuel.
Et puis je pense à ces randonneurs incapables de se taire sur un sentier, à ces enfants qui hurlent dans les supermarchés pour obtenir ce qu’ils veulent. Je pense à ceux qui allument la télé ou la radio pour avoir un bruit de fond. À ces meubles remplis de bibelots. À ces émissions de radio où l’animateur remplit les secondes qui défilent sur son écran, à ces caméras qui ne savent plus se déposer sur le visage d’un chanteur mais qui filent et dézooment fondent et reviennent. À ceux qui cet été s’installeront dans un parc ou sur une plage avec leur mini enceinte qui crache sa musique. À ceux qui se baladent avec. À cette cloche qui sonne la fin d’un cours et à cette même cloche qui sonne le début du suivant.
J’écris ce texte entre 2h et 3h du matin. Mais on me dit qu’à 2h ce soir il est en fait 3h. Tant mieux. Je ramasse cette heure perdue par les hommes. Il y en a bien qui ramassent les poubelles des autres. Étrange pratique par laquelle nos sociétés, incapables de s’adapter aux saisons, ont décrété qu’il fallait se réveiller à la même heure tout a long de l’année, plutôt que d’adapter nos rythmes aux cycles naturels.
À croire que dans un monde où on nous demande de fournir la même performance en tout temps, notre horizon d’espérance ne pourrait être qu’un éternel été, un soleil constant, des fraises et des tomates tout au long de l’année. Et je me dis que décidément, le printemps arrive de plus en plus tôt. Bien trop tôt.