Elle se tord dans le cendrier comme quelqu’un qui vient de recevoir une balle dans le ventre. Elle sautille encore entre mes doigts, et puis s’effondre au milieu des autres. Le cendrier est plein. Demain il faudra que je le vide. Demain c’est dans une heure.
Demain, il n’y aura plus de place dans ma vie pour les rêveries de balcon. Il y aura le générique de la matinale à la radio comme réveil, le fond de céréales qui aura toute la journée pour coller au fond du bol, le coup de eyeliner sur l’oeil gauche toujours moins bien fait que le droit, le miroir de l’entrée qui va retrouver une existence.
Demain je serai la fille de l’appart d’en face. Celle qui n’a pas le temps d’aller sur son balcon, sauf le weekend quand elle reçoit des amis. Celle qui prépare à manger en coinçant son téléphone avec son épaule. Qui dit Je te rappelle mais qui n’a pas le temps de rappeler.
Un agenda, des rendez-vous, des congés, et un chemin à prendre tous les matins. Des immeubles et des visages qu’on ne voit pas, tête baissée dans le couloir des urgences à anticiper. Je me demande si les oies traversent le ciel de la même manière. Il faudra que je prévienne Madame Jeannine qu’elle trouve quelqu’un d’autre pour l’aider à étendre son linge les mardis. Les oies devront se trouver d’autres fronts à relever. Parce qu’elles finiront bien par la prendre, la route. Il faut bien la prendre un jour. Elles seront juste un peu en retard, c’est tout.
Demain, loin du balcon, à l’heure des oiseaux migrateurs, j’aurai les yeux rivés sur un écran. Le dos voûté, le cou tendu, les yeux injectés de pixels. C’est ainsi que chaque jour je paierai mon ticket d’entrée pour le parc d’attraction où j’accepte de passer ma vie.