Lettres sans réponse

Je sais que vous n’aurez pas le temps de lire cette lettre, et que vous emportez le strict nécessaire. C’est pour demain la traversée ?

Voilà plusieurs semaines qu’on parle de vous partout dans les journaux. Chaque jour sur le fil d’actualité des réseaux sociaux, des images défilent : des hommes et des femmes, un sac dans une main, un enfant dans l’autre, qui marchent face au soleil, qui marchent dans la nuit, qui marchent au bord des routes, dans les champs, le long d’une voie ferrée. S’extirpant d’un bateau. Entassés dans un wagon de train. Des silhouettes qui courent derrière un camion. Un enfant sur une plage, qui ne bouge plus.

Chacun se fait son opinion. On commente sans complexe la situation de ces hommes et ces femmes qui restent anonymes, sans histoire, sans nom, sans voix. Nous sommes voyeurs mais l’image reste floue. Et chaque histoire se noie dans le phénomène et dans le symbole.

Quelque chose me gêne dans la pluie de commentaires qui accompagne les vidéos et les photos. « C’est affreux ! Il faut les aider ! », « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », « Occupons-nous déjà de ceux qui sont dans le besoin chez nous » Les mots défilent. C’est si facile de taper des mots sous une photo, à l’abri derrière son écran. Quelque chose me gêne, quelque soit l’opinion exprimée. Moi aussi je suis une fille de réfugiés. Qui voudrait que des milliers de personnes commentent l’arrivée de sa famille, en décrétant que c’est bien ou mal pour leur pays.

Il y a des réalités devant lesquelles il faut avoir l’humilité de se taire. Toutes ces opinions exprimées publiquement sur les plateaux télé et les réseaux sociaux ont quelque chose d’obscène…. Non … obscène n’est peut-être pas le mot. Je ne sais pas. Moi j’ai du mal à trouver les mots. Que peut-on dire qui soit à la hauteur ? Il me semble que la détresse humaine, ça ne se commente pas comme un match de foot.

Aujourd’hui on vous regarde, on court après vos histoires et vos témoignages. La photo du petit garçon de trois ans échoué sur une plage turque a éveillé les consciences, ému l’opinion, fait réagir des politiques sur leurs comptes tweeter. C’est bien. Qui peut dire le contraire ? Pourtant, oui, quelque chose me gêne… Peut-être le fait de voir que l’intérêt –légitime – qu’on vous porte est en fait poussé par la vague médiatique du moment. Jamais un exode n’a été aussi mis en image et aussi médiatisé. Est-ce que ça ne fait pas pourtant vingt ans que vos enfants s’échouent, et sur des plages bien plus proches de nous, en Espagne, en Italie ? Depuis vingt ans, des journalistes, des chercheurs, des associatifs, des écrivains ont écrit, filmé, raconté ce qu’il se passe. Loin de la vague médiatique. On en parle vite fait, et puis on passe à autre chose.

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Vous l’avez peut-être entendu dans les bars ou les cafés, chez vous. C’est une chanson en espagnol, mais l’artiste est français. Même si vous comprenez pas les paroles, y’a au moins un mot que vous avez dû retenir, parce que tout le monde le chante toujours en levant les mains et en dansant :
« Mano negra
– Clandestina !
– Peruano
– Clandestino !
– Africano
– Clandestino !
– Marijuana
– Ilegal ! »

Clandestino de Manu Chao. Plus de trois millions d’exemplaires vendus, sûrement plus du double écouté, records de hit parade. Il manquait peut-être la photo d’un enfant échoué sur la pochette de disque pour que la chanson émeuve autant que la photo.

Je sais que vous avez vu la photo de ce petit garçon noyé sur la plage. Et que vous avez pensé que ça pouvait être vous et votre famille. Et je ne doute pas que vous n’avez pas commenté cette photo. Et que vous allez l’emporter avec vous pendant un moment. Alors vous comprenez, ce petit garçon sur la plage, je voudrais qu’il dure plus longtemps que quelques clics. Qu’il me donne un autre élan que celui de vider mes tiroirs des vêtements que je ne mets plus depuis longtemps. J’aimerais qu’il s’imprime définitivement dans mon œil, et qu’il s’allume tous les matins devant le gamin assis sur le trottoir à côté de sa mère. Qu’il m’empêche de gueuler après le petit cireur de chaussures qui me courait après à Marrakech, alors que j’étais tranquillement en vacances. Qu’il m’arrête pour lui demander de quel village il vient. Combien de jours il a marché, dans la poussière, pour arriver là. Que ce gamin noyé imprimé au fond de mon œil, me fasse voir cet autre gamin du Congo et dqui descend chaque jour dans la mine pour extraire nos minerais. Lui aussi il manque d’air. Pas à cause de l’eau, à cause du trou où il descend. La photo de ce gamin-là ne fera pas le tour de la toile. Peut-être le tour de revues spécialisées. Il est trop loin. Pourtant au bout de la corde qui le fait descendre, ce sont bien les mains de nos industries.

Voilà ce que je voudrais que cette photo me fasse, pour qu’elle soit à la hauteur de ce qu’elle prétend raconter. Mais elle ne sera sans doute qu’une étoile filante dans la constellation médiatique des images-chocs qui émeuvent l’opinion… jusqu’à la prochaine.

Allez à la prochaine… bonne traversée… enfin bonne… qu’est-ce qu’on peut dire ? y’a des jours où les mots nous font cocu.

signature Sarah NB

Lettres sans réponse

Ça y est, vous avez retouché la terre ? Quelques heures où tout s’est joué. Non je ne vous demanderai pas ce que vous avez ressenti. Ça vous appartient. Et ça n’est pas pour maintenant.

Migrants. Vous n’êtes pas un statut. Ni même une condition humaine. Car vous êtes bien plus vieux que l’humain.

Partir. Migrer. Fuir le froid, la sècheresse, la perturbation d’un territoire, le manque de nourriture. Tout quitter, pour mieux vivre ailleurs. Pour donner une chance à ses petits. C’est la force qui a permis à toutes les espèces de peupler la terre et de survivre. Elle habite les papillons, les oies, les baleines, les éléphants, les tortues marines.

Aujourd’hui, les troupeaux d’éléphants suivent encore des chemins tracés depuis des millénaires par leurs ancêtres. Mais de plus en plus souvent, la femelle qui guide le groupe s’arrête. Devant elle, la forêt est coupée en deux. Elle continue de l’autre côté d’un couloir de ciment. La matriarche ne comprend pas. Son instinct lui dit qu’il faut encore avancer. C’est ancré dans chaque partie de son lourd corps fatigué par la marche et la soif. Là-bas, de l’autre côté, il y a de l’eau. Elle le sait.

Chaque espèce a sa manière de gérer son territoire, et l’adapte en fonction des circonstances. Les ennemis d’hier peuvent devenir les alliés de demain dans des conditions extrêmes.

L’homme a poussé l’instinct territorial un peu plus loin que les autres primates. D’habitude, c’est la force qui fait loi. Si tu pénètres sur le territoire des autres, tu dois te soumettre, ou bien le lui prendre par la force. À moins que tu apportes quelque chose qui lui sera utile. Chez l’homme, il faut répondre à des normes, remplir des cases, entrer dans les quotas. Les chefs de gouvernements signent des ententes. « Moi j’en prends huit mille, mois vingt, non je peux pas plus. » C’est presque plus vicieux que la loi du plus fort.

« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, Paris, 1948.
Article… treize.

Je ne m’étonne pas que le droit d’asile et la protection des réfugiés dépendent d’exigences économiques et géostratégiques. C’est bien parce que les hommes sont naturellement poussés à agir pour servir leurs propres intérêts, qu’on a eu besoin de signer des déclarations qui font de la justice, de l’égalité, de la liberté, de la protection des réfugiés, des principes fondamentaux et inaliénables.

Pendant ce temps, des milliers de visages qui semblent appartenir au même corps avancent, regardent les routes sur leur GPS, pendant que d’autres battent des ailes un peu plus fort, écoutent la terre avec leurs pattes, reniflent l’air. Comme les éléphants, les baleines et les oies, ils ne savent qu’une chose : la vie est devant eux. Et quoi qu’ils trouvent sur leur chemin, ils avanceront.

Ce soir je dors chez moi. Pendant que vous marchez.

signature Sarah NB

"L'extraordinaire au quotidien"

Quand elle a quitté une vie de château – littéralement – en Normandie pour traverser la France avec ses chevaux de course, Hella ne savait pas où elle allait. Dans la montagne dans le sud de la France, les chevaux, comme elle, ont dû réapprendre à vivre autrement. Les chevaux en troupeau pastoral, et elle dans un hameau, sans argent.

Au-delà des chevaux, Hella parle surtout d’adaptation, de liberté, et de l’art de réparer, de redonner confiance. Car Hella récupère aussi des chevaux maltraités et leur réapprend à vivre.

Même si on ne s’intéresse pas aux chevaux, écouter Hella nous en apprend beaucoup sur nous. Comment préserver sa liberté sans l’imposer aux autres ? Comment l’homme et le cheval s’adaptent à un changement de vie radical ?

"De la scène au quotidien"

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Free times cafe, Toronto. Derrière un rideau, une petite salle discrète où ont lieu tout au long de l’année des micros ouverts. Des chanteurs et musiciens se succèdent sur la petite scène, s’essayent, se frottent au public, encouragés par leurs amis. On se racle la gorge, on boit du chaud avant de chanter, on accorde difficilement sa guitare. La chanteuse qui cette année été élue meilleure artiste du micro ouvert gratouille de la guitare et ne connaît que quatre accords. Elle chante pour de faux.

L’authenticité dans le jeu

Voici une fille qui chante à la guitare. Elle ne passe pas vingt fois la main dans les cheveux en nous racontant comment lui est venue la prochaine chanson, elle ne prend des poses des candidats de La voix. Mani ne se prend pas au sérieux. Cette humoriste qui chante fait rire sur nos maladresses, avec ses chansons racontées et improvisées sur quatre accords. Presque à chaque fois, elle improvise des couplets entiers. Voilà une artiste qui prend des risques, qui ne reste pas dans sa zone de confort.

Ici on est loin des clichés de bons sentiments. Le spectacle est construit en trois parties : la haine, le sexe et le mystique. Et mine de rien, les sujets que Mani aborde sont loin d’être légers : la maladresse des relations humaines (Akward Long Hug), la dépression et la solitude (Fucking February), l’honnêteté (I hate everything), de la désillusion (The unicorn), de l’ambition (Princess). Tout ça incarné par un personnage de scène maladroit, gêné, qui raconte ses déboires avec le monde. À force de le voir montrer sans pudeur ses défauts, on finit par s’y attacher. Mani utilise l’humour pour ne pas se présenter comme victime, et pour reprendre contrôle sur ses faiblesses.

‘‘Créer un personnage enlève la pression d’avoir à faire rire tout le temps. Parce que du coup les gens sont attentifs à l’histoire de ce personnage au lieu d’attendre la prochaine blague’’.

Elle se fabrique un personnage, et reste authentique. Elle n’a aucune pudeur et n’est jamais vulgaire. Elle chante faux, mais parle juste. Elle joue à peine de la guitare, mais elle gère d’une main de maître le rythme humoristique propre aux spectacles d’humour.

‘’En théâtre comme en musique, il me semble que ce que le public veut, c’est sentir leur vérité et leur voix propre. Même s’ils fabriquent des personnages. Ce sont ces gens-là qui marquent dans les soirées de micro ouverts, ceux qui ont une personnalité, qui sont uniques. Si tu vois un super guitariste qui n’a pas de voix propre, il ne ressemblera qu’à un autre super guitariste. Alors que le gars qui joue moins bien mais qui a une façon bien à lui, on s’en souviendra.’’

Une artiste sensible et critique

Mani est la première artiste que je rencontre qui a un tel sens critique des arts qu’elle performe. Elle va voir les autres, elle se fait une opinion, elle y réfléchit. Elle n’est pas gênée de dire qu’elle n’aime pas la plupart des spectacles qu’elle va voir. Elle ne peut pas repartir chez elle l’esprit tranquille, comme on change de canal à la télé : ‘’Quand tu vas voir un spectacle, tu ne peux pas zapper. La médiocrité est là, tu es assise juste en face. Encore plus quand les gens aiment ça ou bien pardonnent.’’

Sur le papier, ce jugement sans appel peut sembler prétentieux et dédaigneux. Il suffit de parler deux minutes avec Mani pour comprendre qu’on en est loin. C’est seulement que cette artiste généreuse ne comprend pas que d’autres ne se donnent pas autant, ne se mettent pas en danger : ‘’Ce qui manque peut-être, c’est que beaucoup de groupes en musique ne sont pas conscients de ce qu’ils dégagent, et ne voient pas le tout qu’ils sont en train de construire. Ils font des bouts qui ne collent pas ensemble.’’

Ici c’est la metteur en scène qui parle. Mani qui construit son spectacle, et qui s’essaye à la mise en scène de comédies musicales.

‘’En théâtre et dans les one-man show j’ai l’impression que beaucoup font un peu comme la télévision canadienne : ils préfèrent imiter des grands shows sans en avoir les moyens, au lieu d’embrasser complètement ce qu’ils sont et de donner le meilleur de ça.’’

La position fragile d’une forte personnalité

Une humoriste parmi les chanteurs, une chanteuse parmi les humoristes, une femme dans les scènes ouvertes où les hommes sont très largement majoritaires, une américaine au Canada. Mani doit se tailler une place.

Parce que son spectacle n’est pas un étalage de blagues, elle ne se sent pas toujours à l’aise dans les soirées d’humour, qui ressemblent plutôt à des rallies de rire et de provocation. Elle se sent mieux dans le monde des chanteurs et musiciens, quitte à prendre le risque de se faire évaluer purement sur ses qualités musicales.

Dans les deux mondes de la chanson et de l’humour, elle doit aussi se tailler une place en tant que femme. Se faire accepter comme chanteuse qui ne jouera pas la carte de la séduction sensuelle ou mystérieuse, et comme femme qui est capable de parler de sexe pour faire rire.

Mani doit aussi se défaire du cliché de l’Américaine à la grande gueule. Arrivée au Canada à dix-neuf ans, elle observe attentivement les différences culturelles entre les USA, Canada, le Québec.

Pour qu’elle trouve son équilibre, il lui faudra peut-être inventer elle-même une scène qui accueille sa personnalité généreuse et entière dont on a tellement besoin.

"Dans la loge de l'artiste"

Le 5 mai dernier, dans le cadre du festival Jamais Lu, Philippe Ducros a présenté son texte »La cartomancie du territoire», premier volet du projet »Réserves». Un texte né de mois qu’il a passé à arpenter les réserves autochtones au Québec.

1.La blessure et l’espoir

Derrière le rideau d’arbres le long des routes canadiennes, il y a la coupe à blanc. Derrière les visages des autochtones, il y a une blessure profonde. C’est elle que Philippe Ducros est allée chercher. À ceux qui diront qu’il ne montre que le côté obscur, il répond que c’est bien la réalité pourtant, celle dont personne ne parle : les enlèvements des femmes autochtones, le taux de suicide, l’alcoolisme, le taux d’incarcération. Et que c’est dans le geste artistique de vouloir faire sortir tout ça que réside l’espoir.

 

2.Le passeur des voix des colonisés

Philippe Ducros ne se contente pas d’être le témoin de la réalité autochtone ou des autres réalités cachées qu’il a été chercher en République Démocratique du Congo, en Chine ou encore en Palestine. En étant l’oreille puis le passeur de ces sans-voix, il tire une réflexion globale sur le colonialisme et sur lui-même, en tant que Québécois, c’est à dire à la fois colon et colonisé.

Philippe Ducros : Le passeur des voix des colonisés by Sarahroubato on Mixcloud

3. La colère et le pouvoir des mots

Mettre des mots sur ce qu’on ne veut plus nommer. Parce qu’il y a une blessure et qu’on a retiré à des gens les moyens de se penser et de s’exprimer. Parce que les outils traditionnels où se forgent la pensée – l’école, les journaux, la culture – sont des marchandises. Écrire, pour Philippe Ducros, c’est commencer à se libérer des oppressions culturelles, politiques, territoriales qui pèsent sur les peuples et sur les individus.

Philippe Ducros : La colère et le pouvoir des mots by Sarahroubato on Mixcloud

4. Le théâtre comme laboratoire

Conscient d’utiliser un médium qui touche un public ciblé, Philippe Ducros trouve dans le théâtre et en particulier au festival Famais Lu un laboratoire d’idées, encore préservé de la dictature du rire et du divertissement. C’est aussi un médium qui nécessite moins de moyens que le cinéma. Voyageur qui a construit son identité sur les routes, Philippe Ducros propose un théâtre québécois qui sort de la thématique identitaire en parlant de sujets habituellement couverts par les reporters de guerre.

Philippe Ducros : le théâtre comme laboratoire by Sarahroubato on Mixcloud

Lettres sans réponse

Je ne suis pas partie remplie du rêve américain. Pourtant, c’est vrai, ça soulage, ces gens sympathiques, de bonne humeur, où tout le monde se tutoie et tout le monde est gentil. Seulement au bout d’un moment, on se rend compte que cette gentillesse ne sert pas partout la générosité, la compréhension, l’entraide. Elle est une fin en soi, une façade à maintenir. Elle isole les individus au lieu de les réunir, parce que l’usage qu’ils en font les exempte de se confier, de s’exposer, de se mettre à nu.

J’ai séjourné chez des gens qui n’étaient pas hospitaliers. Mais gentils. J’ai participé à des conversations qui s’arrêtaient dès que le débat commençait, car on disait gentiment : « C’est bien, on a tous des opinions différentes ». J’ai fait des rencontres avec des gens extraordinaires qui disparaissent le lendemain, sans raison. Et gentiment. J’ai été emportée par l’enthousiasme de personnes devant un projet à mener ensemble, qui quelques jours après, changeaient d’avis, le sourire aux lèvres. J’ai vu des amitiés n’être que la consommation commune de la fête.

Je n’ai rien à apporter pour démontrer qu’il y aurait, derrière ces clichés et ces vues d’ensemble, une vérité, dont la valeur dépasserait celle de mon expérience personnelle. Autre chose que « Chacun son expérience ». Une vérité sur la culture nord-américaine. Bien sûr que chaque individu est différent, bien sûr on trouve des gens superficiels partout. Bien sûr que la gentillesse est une qualité partagée sur la terre entière, et qu’elle est nécessaire. Seulement l’usage qu’on en fait se situe par rapport à une norme sociale. Dans beaucoup de pays africains, par exemple, la gentillesse est très liée à l’obligation d’hospitalité. Toute personne respectable se doit d’accueillir convenablement n’importe qui. On pourra dire qu’elle est superficielle, cette gentillesse. Elle me gêne moins que celle qui sert à ne pas s’exposer.

Les qualités humaines sont universelles, mais l’usage que chaque individu en fait se situe par rapport à des normes culturelles. Ce sont ces normes que les pays, les religions et les peuples fabriquent. On peut s’en détacher, les remodeler à notre manière ou les accepter. Elles forment un éventail de possibilités. Et ce sont bien tes possibles, chère Europe, qui m’ont façonnées, et qui me manquent. Ce que tu peux offrir. Ce que tu ne dois pas perdre.

Ta fidèle, de l’autre côté de l’Atlantique

signature Sarah NB

Lettres sans réponse

Europe,

Tu sais, je te dis tu, mais je pourrais te dire vous. Ceux qui ont voulu faire de toi un espace de pur échange économique ont eu peur de tes multiples cultures. Ils ont fait des billets de banque sans aucune référence nationale. Porutant Mozart, Goethe, Hugo, Tchaikovsky, Chopin, Churchill, Einstein, Da Vinci appartiennent à tous les Européens.

Ce n’est pas parce que je m’adresse à l’Europe que j’ignore la force de l’identité de chacun de tes enfants – ou plutôt de tes parents. Au contraire. Ici au Canada, être canadien ne signifie pas grand-chose pour les gens. C’est être nord-américain sans être états-unien, c’est être québécois sans avoir un pays.

Dans les livres d’histoire, être Européen c’est être sujet d’un empire, c’est participer aux grandes découvertes des siècles derniers. Ça n’est pas à cette Europe des idées et des guerres que je parle, à cette civilisation qui est peut-être déjà morte. C’est à toi, fille de chair et de pierre, de rues tordues, de petits villages escarpés, de clochers d’églises, de quais de gare avec trois personnes qui attendent, de campagnes où en une journée de marche on peut passer devant un marécage, une forêt, un champ, un village, une petite ville. Tu es cette expérience très physique qui résiste aux mots et que seuls mes sens, agressés dans les villes nord américaines ou perdus dans l’immensité de sa nature, me rappellent. Chez toi l’infini se cache dans le petit.

signature Sarah NB

Lettres sans réponse

Chère Europe,

Contente de te retrouver. D’ailleurs, sais-tu où je t’ai retrouvée ? Dans les rues interminables de l’Amérique du Nord. C’était il y a quelques semaines. Je visitais Toronto : cinquième plus grande ville en Amérique du Nord, centre économique du Canada, ville la plus cosmopolite du monde. J’ai voulu m’y perdre, puisque c’est comme ça que je rencontre une ville. Et je n’ai pas réussi. J’ai tout reconnu : les rues résidentielles perpendiculaires, les grandes artères commerçantes, le downtown financier avec ses tours de béton, le China Town lumineux et la Petite Italie fleurie. J’ai aussi vu des villes entières où marcher n’est tellement pas la norme qu’il faut appuyer sur un bouton spécial pour déclencher le signal piéton pour traverser.

J’ai marché dans des rues où pendant des demi heures entières je n’ai passé que deux types de commerces : des fast foods et des boutiques de vêtement. Les enseignes lumineuses agressaient mon œil en permanence. Oh je sais bien que toi aussi tu t’es laissée séduire par tout ça. Qu’à Paris, à Berlin ou à Amsterdam, on n’en manque pas. Seulement dans tes villes, on trouve encore assez de librairies, de galeries, de petits théâtres et cinémas, de magasins de petits métiers, pour offrir d’autres choses. Dans tes métros, on voit encore les gens lire.

Tes villes nous offrent aussi quelque chose qui n’existe pas ici : une invitation à déambuler. Tourner à un coin de rue, s’enfoncer dans le passage, atterrir sur une petite place. Se laisser surprendre, ne plus savoir dans quel quartier on est. Et pourtant, retrouver le chemin, par un instinct mystérieux qui fait qu’on s’y retrouve quand même, de Venise à Bruxelles, de Cracovie à Séville. Ici, dans la droiture des rues, il n’y a pas de place pour l’instinct. Ici je marche pour aller quelque part. Et c’est finalement là que je t’ai retrouvée.

À très vite

signature Sarah NB

Lettres sans réponse

Ma chère Europe,

Je ne pensais pas t’écrire un jour. À vrai dire je n’étais même pas sûre que tu existes. Je l’ai appris en vivant depuis dix ans de l’autre côté de l’Atlantique. Ici tu me manques. Donc tu existes.

Ce n’est rien de très concret qui me manque. Bien sûr parfois, c’est le goût d’un fruit ou d’un plat, mais ces petits choses deviennent des caprices. L’essentiel est ailleurs. Ce n’est pas non plus la nostalgie du chez soi que vivent les immigrés. Moi me sens chez moi là où je peux créer.

Ce qui me manque, c’est toi loin du drapeau, loin des bureaucrates de Bruxelles.
Loin de la machine économique qui étouffe les peuples et engraisse les industriels.
Toi dans un autre portrait de famille que celui qu’on nous tire aujourd’hui :
le couple alpha France-Allemagne qui se tiennent la main,
un coup pour une accolade, un coup pour un bras de fer. Et assis devant, les enfants fainéants de la Méditerranée. Derrière, les adolescents traine-patins de l’est. Au fond, impeccables, les modèles scandinaves. Et de côté, un peu à l’écart, avec seulement un pied dans le portrait, l’île qui ne fait jamais rien comme les autres.

J’écris aujourd’hui à une Europe qui pourrait faire rêver, et pas seulement les pauvres et les réfugiés. Si tu as un moment, ma chère Europe, replie ton drapeau, range tes dossiers, et viens t’asseoir un moment. Que je retrouve un peu de quoi tu es faite.

À demain

signature Sarah NB

"Dans la loge de l'artiste"

Partenaire pour la diffusion de cette émission :logo_atuvu_RGB

Chansons contées, musique de film, chansons illustrées… voilà ce que propose Mathieu Bellemare. Un artiste original, authentique, solitaire. Le mieux pour saisir cet artiste, c’est d’aller se promener avec lui dans un parc, dans les rues, dans un cimetière, la nuit. C’est ce qu’on a fait, hors micro. Voici donc une entrevue comme un dessin inachevé.

1. Le réel est ailleurs

Et si notre imaginaire, nos désirs, nos peurs, étaient bien plus réels que les faits, les actions, et tout ce par quoi on se définit (le travail, les loisirs, le lieu de naissance) ? C’est le pari que fait Mathieu Bellemare dont les personnages abattent les masques du réel pour donner à voir notre vérité intérieure.

»Dans loge de l’artiste» avec Mathieu Bellemare, épisode 1 : Le réel est ailleurs by Sarahroubato on Mixcloud

2. La nuit et ses vérités

La loge de Mathieu, c’est la nuit. Pas celle des bars et des tavernes , mais plutôt la nuit des paysages qui semblent dormir. Un marais, un cimetière, un parc de jeu. Un paysage où il semble que rien ne se passe, mais où des personnages prennent vie. C’est ce qui se reproduit dans le noir de la salle de spectacle, où on a l’impression d’être seul avec Mathieu pour un moment de vérité.

»Dans la loge de l’artiste» avec Mathieu Bellemare, épisode 2 : La nuit et ses vérités by Sarahroubato on Mixcloud

3. Les avenues de la marginalité

Quand un artiste échappe aux catégories, il doit défendre son projet encore plus pour être programmé. Devant l’art multidisciplinaire de Mathieu, certains programmateurs de salle ne savent pas s’il faut le mettre dans la case ‘’’chanson’’, ‘’théâtre’’ ou encore ‘’conte’’. Mathieu parle librement du décalage entre ceux qui décident, fonctionnaires et businessmen conformistes, et le public, souvent plus ouvert, qu’il s’efforce de rencontrer directement. Au Québec les talents originaux ne manquent pas. C’est le courage de la plupart des programmateurs et des médias qui manque. C’est le but de cette émission : pouvoir parler de cette réalité.

»Dans la loge de l’artiste» avec Mathieu Bellemare épisode 3 : Les avenues de la marginalité by Sarahroubato on Mixcloud

4.La vérité est surréaliste

Un escargot, un orphelin, Martin l’ami perdu près du marais, Fanny la jeune amoureuse au destin tragique, Dr Molotov. Les personnages de Mathieu sont des parts de lui, parfois totalement opposés, mais tous hors norme, décalés. C’est en faisant un détour par ces personnages surréalistes que Mathieu trouve son authenticité et se révèle.

»Dans la loge de l’artsiste» avec Mathieu Bellemare épisode 4 : La vérité est surréaliste by Sarahroubato on Mixcloud

5. Le disque livre

Du spectacle de Mathieu est né le disque-livre Chants des marais et des morts. Un projet finaliste dans la catégorie «Innovation» des Grands prix de la Culture Desjardins et finaliste au prix de l’œuvre de l’année en région du Conseil des Arts et Lettres du Québec. Les dessins de Mathieu accompagnent le disque de ses chansons. C’est une toute autre expérience que le spectacle . Le personnage de Mathieu, si présent sur scène, disparaît. L’artiste cherche encore son medium, quitte à créer entre le public et les auditeurs une perception différente de son art. Producteur de son disque, Mathieu n’a pas pu signer de contrats de coproduction avec des éditeurs. Il a donc fait son disque livre autoproduit avec le soutien du CALQ, du Cirque du Soleil et du public. Grâce à ces aides, il a financé un tiers du coût total du projet. Au final, quand il va vendre à 30$ son disque livre dans les Archambault, il touche 1$.

‘’Dans la loge de l’artiste’’ avec Mathieu Bellemare, épisode 5 : Le disque livre by Sarahroubato on Mixcloud

LA SUITE À ÉCOUTER DEMAIN !

"Dans la loge de l'artiste"

Partenaire pour la diffusion de cette émission :logo_atuvu_RGB

1. De la cave aux francos

Feu Chatterton n’échappe pas à la fabrication médiatique du mythe des musiciens qui sortent de leur chambre, de leur bar ou de leur cave, pour atteindre la célébrité. Pourtant ils le disent : le parcours était sinueux. Quand un groupe émerge aux yeux du grand public, c’est qu’il a déjà franchi beaucoup d’étapes.

»Dan la loge de l’artiste» avec FEU CHATTERTON : épisde 1 »De la cave aux francos» by Sarahroubato on Mixcloud

2. La mode du vintage

Dans le look dandy et dans l’écriture précieuse, Feu Chatterton ne se cache pas d’un goût pour un certain romantisme passé. Quand d’autres se feraient vite catalogue de «chanson à texte» poussiéreuse, Feu Chatterton fait de cette langue, alliée au rock, une marque de fabrique et d’originalité.

»Dans la loge de l’artiste» avec FEU CHATTERTON épisode 2 : La mode du vintage by Sarahroubato on Mixcloud

3. L’emballage visuel

Aujourd’hui un artiste de musique est obligé de passer par l’image pour se faire connaître. Le look, le clip vidéo, comptent autant voir plus que la musique. Tout en regrettant le temps où l’on pouvait savourer une chanson sans l’image, Feu Chatterton s’adapte et en profite pour élargir ses possibilités créatives.

»Dans la loge de l’artist» avec FEU CHATTERTON épisde 3 : »L’emballage visuel» by Sarahroubato on Mixcloud

Lettres sans réponse

Jeudi 7 août 2015

Aujourd’hui, je ne vois que des jeunes qui se démènent pour faire leurs projets tous seuls. Je ne vois pas quel aîné leur fait confiance. Qui enverrait un jeune qui n’a jamais fait de reportage couvrir un sujet difficile, avec son regard neuf ? Quelle maison de disque prendra encore une maquette mal faite, encore inachevée, pour ce qu’elle pourrait devenir entre leurs mains ? Quel journal prendra l’article d’un anonyme parce que l’article est bon, seulement pour ça ?

Alors nous en sommes réduits à demander aux lecteurs, au public que nous n’avons pas encore, de nous aider. Et c’est ainsi que naissent les financements participatifs. On demande au gens de payer en avance un produit qu’ils n’ont pas encore vus ou lus, sur la seule base de leur confiance en notre potentiel. Ce sont eux, les passeurs d’aujourd’hui. Mais eux n’ont pas les accès aux bourses, aux terrains. Il nous faut inventer de nouvelles structures et de nouveaux métiers.

Derrière l’écran d’ordinateur, on gère sa campagne de financement. On reste farouchement seul. Si on lâche personne ne viendra nous pousser. Un mentor c’est aussi une présence rassurante, on sait qu’il est là, qu’il nous encouragera, nous bousculera s’il le faut, et on le traitera de vieux con, et il nous prendra la main et nous aidera à nous relever. On se sent fier d’avoir su intéresser quelqu’un qui est reconnu dans son domaine. C’est autre chose que les dons de l’entourage, qui nous encouragerait quoiqu’on fasse.

Je voulais donc, Dr. Leackey, dire merci au passeur que vous avez été, en espérant que d’autres suivront votre exemple et aideront ceux qui auront eu la chance de les rencontrer au bon moment. Pour les autres…

C’est peut-être Mozart

Le gosse qui tambourine

Des deux mains sur le bazar

Des batteries de cuisine

Jamais on ne saura

L’autocar du collège

Passe pas par Opéra

Râpé pour le solfège

Jamais on ne saura

Pauvres flocons de neige

Pour un bon dieu qui naît

Cent millions font cortège

Allain Leprest, « C’est peut-être »

signature Sarah NB

"Dans la loge de l'artiste"

We are not legends nest pas encore un documentaire ni un film. C’est à l’heure actuelle le projet d’une rencontre entre une jeune comédienne belge, Hélène Collin, et certaines communautés autochtones du Canada, en particulier les Atikamekw de Wemotaci. Une rencontre dont Hélène fait son art le plus abouti.

1. La rencontre, le processus (10’24)

Dans une société où l’on s’attend à ce que chaque individu planifie clairement son parcours académique et professionnel, Hélène retrouve dans cette expérience le plaisir de se laisser étonner.

2. Le ravissement de se laisser étonner (5’54)

Au départ de «We are not legends», le désir de sortir les Amérindiens des clichés dans lesquels ils sont enfermés. Les regarder pour ce qu’ils font et non pour ce qu’ils nous semblent être, des gens figés dans leurs légendes folkloriques ou dans leur état d’assistés sociaux. Faire comme eux : regarder les gestes des gens.

3. La langue, les gestes, défaire les clichés (9’13)

4. Hélène répond au questionnaire (4’13)

Nous avons eu le privilège de nous entretenir avec Hélène quelques heures avant son départ pour la Belgique, après un an passé au Canada…son départ, son retour ?

5. Le sens du retour