Le 12 juillet 2015
Je ne sais si un écrivain a été autant haï et aimé que vous l’avez été. Caricaturé, livré aux chiens, tué… pour avoir crié la vérité. Reconnu par les plus grands et par les plus humbles. La plus belle preuve, vous ne l’avez pas vue, Monsieur Zola. La voici. À votre enterrement, au milieu des grands hommes, un régiment de mineur a marché en scandant « Germinal ! Germinal ! » À chaque fois que j’y pense les larmes me viennent. Quelle plus belle preuve de réussite un écrivain peut-il espérer ? Oui ils sont sortis vers la lumière, dans leur uniforme de bête des fonds de la terre, esclaves de la nuit, avec à la bouche un seul mot : le titre d’une de vos œuvres. Et dans ce siècle commençant, avec Jaurès qui était présent, c’était un espoir qui marchait devant votre tombe. Mais c’est vous, cette fois, qui étiez sous la terre.
Je vous admire d’autant que votre courage est celui d’un homme nerveux, qui avait un cheveu sur la langue et la peur des foules. Vous n’avez rien d’un héros de roman. Vous vous êtes jeté dans un combat en tremblant autant de rage que de peur. Vieillard myope, qui a été un moment de la conscience humaine.
D’ailleurs personne n’a été dupe, Monsieur Zola. Vous aurez beau expliquer que vous n’êtes qu’un observateur scientifique, l’inspiration poétique transparait à chacune de vos pages. Voilà pourquoi elle parle à tous. Toute votre œuvre tient sur un équilibre miraculeux entre la rigueur de l’observation et le jaillissement poétique. Cela je le garderai toujours comme modèle.
Écrire pour donner une voix à ceux qui n’en n’ont pas, pour dénoncer les injustices et les lâchetés d’un monde que l’on aime trop pour ne pas le critiquer. C’est de votre constante révolte et de votre amour de l’homme et de la nature que je me sens héritière.
Que les critiques, les haines, les caricatures, les procès, les menaces, l’exil, les hommages… et la mort aient été dirigées vers un homme qui n’a fait qu’écrire, je ne sais si c’est encore possible aujourd’hui. Car je ne sais si les mots ont encore cette force. Je suis peut-être une survivance de ces espèces animales qui aurait dû s’éteindre et qui s’obstine à rester : comme les crocodiles ou les tortues. C’est pourtant en regardant ce que vous avez traversé que je m’obstinerai à écrire. Quitte à rester dans l’anonymat et l’oubli. J’aurais au moins mérité d’avoir osé m’adresser à vous. Comme le disait votre ami et défenseur Georges Clémenceau : « Échouer même est enviable, pour avoir tenté.»
Merci, Monsieur Zola.