Le 10 juillet 2015
Monsieur Zola,
Vous avez été le premier à bien des choses : le premier à faire entrer le vrai langage du peuple en littérature, le premier intellectuel à être descendu dans les mines, le premier journaliste à se mettre volontairement un procès à dos pour faire triompher la vérité. Vous avez pressenti que des forces psychologiques inconscientes faisaient agir les hommes, vous avez vu l’émergence de la consommation de masse.
Mais vous étiez aussi un homme de votre époque. Pour qui la femme n’est que fécondité. Je suis femme et je veux écrire. Mais je ne revendique aucune féminité de mon écriture. Quand je cherche, quand je pense, quand j’écris, je n’ai pas de sexe. Une femme écrivain a rédigé un jour un essai pour répondre à la question: Que faut-il à une femme pour être écrivain ? Sa réponse : une chambre à soi et quelque argent . Elle s’appelait Virginia Woolf. Cependant, elle avait encore oublié un aspect, que vous et elles aviez : des domestiques. Même dans la misère, vous ne vous prépariez pas votre propres repas trois fois par jour, vous ne faisiez pas le ménage dans votre chambre et n’alliez pas laver votre linge au lavoir. Ensuite vous avez eu votre femme, puis des domestiques. On s’étonne souvent de la force de travail de vous, hommes et femmes de lettres, d’art, de musique, de science. Mais on oublie qu’à vos époques, vous pouviez passer une semaine entière à votre table de travail du matin au soir, vous auriez tout de même des repas prêts et l’entretien de votre maison.
Je ne demande que l’espace et le temps pour travailler correctement. Je demande que soit reconnu celui qui donne chaque jour de sa vie (en dehors des taches de la vie quotidienne) à comprendre la société, un salaire digne de celui des vigiles de supermarchés. Je demande l’impossible, Monsieur Zola. Car dans la société où je vis mon travail ne vaut rien. Je gagne plus d’argent à changer les couches d’un bébé ou à rester derrière un comptoir à ne rien faire. C’est le lot de tous ceux qui travaillent à la santé de l’esprit et de l’âme : savez-vous que celui qui pendant une heure prendra soin de votre corps (nous appelons cela ostéopathe, kinésithérapeute, massothérapeute, acuponcteur, et bien d’autres termes), gagnera autour de 100$ (120 euros). Mais le musicien qui prend soin de votre âme et de votre esprit pendant trois heures, et qui est là depuis l’après-midi, lui ne touchera parfois pas 50$. On dépense 2euros pour un café, mais on n’en verserait pas la même chose pour un journal.