Monsieur Hulot,
J’ai appris à rebours votre démission du gouvernement, trois jours après l’annonce. C’est que depuis quelques temps j’avais fermé mes antennes à l’actualité des hautes sphères. Pas pour les vacances, mais pour mieux travailler dans une autre arène, aux premiers étages de la société. Le combat y est le même : œuvrer à la construction d’un autre monde.
Pour le mener je n’ai que les mots. Des armes bien fragiles. Et pourtant je ne saurais nommer cet autre monde que beaucoup espèrent, que certains préparent, car il n’a pas encore de nom. Mais il sait bien ce qu’il refuse. C’est un monde où l’individu deviendrait autre chose qu’un consommateur. Où il s’inscrirait dans le rythme des saisons, où la collaboration entre personnes et groupes seraient dictées par autre chose que la recherche du profit, où l’accumulation matérielle ne serait pas un préalable à l’épanouissement personnel. Où nos activités – manger, se maquiller, se divertir, se déplacer – respectent le vivant, où chacun s’inscrit autant en réseau que dans le local, habite le temps au lieu de lui courir après. Où le corps est réinvesti et respecté, où les jeunes ne sont pas considérés comme des boites que l’on gave de savoir, où les personnes âgées ne sont pas mises à l’écart comme des êtres inutiles, où les nouvelles technologies n’effacent pas la présence aux autres, où l’expression artistique est extirpée du divertissement de consommation, et où la politique s’exerce au quotidien par les citoyens. Un monde où il n’y aurait plus un seul modèle de réussite sociale, de canon de beauté, d’offre culturelle, de méthode de travail, de parcours de vie. Car la diversité serait reconnue comme la condition essentielle pour la production d’une richesse, comme nous le montre le vivant.
Face à ce besoin de changement, chacun choisit son geste : beaucoup attendent que ça passe, ferment les yeux en espérant ne pas se retrouver sur la touche. D’autres s’acharnent à colmater les brèches d’un monde en train de se fissurer. Certains réclament un vrai changement, pendant que d’autres, loin des mouvements de foule, l’entreprennent chaque jour. Quand les deux se rencontreront, ce sera peut-être le début de quelque chose. Mais le plus souvent, chacun reste dans son coin, replié sur son destin personnel, sans envisager que le bien-être de ce qui nous entoure nourrit le nôtre. Qu’il existe une joie personnelle à participer à quelque chose de plus grand. À voir qu’on laisse une empreinte dans le monde quand on met ce qu’on sait faire au service d’un monde décent.
Vous avez dit « J’espère que ce geste sera utile ». C’est un geste qui se dépliera au-delà des enjeux politiques de court-terme. Laissez-moi vous dire ce qu’il peut signifier pour ceux qui, comme moi, font partie de cette génération qui hérite d’un monde qu’elle doit changer sous peine de voir disparaître l’humanité et tout le vivant.
« Qui serait à la hauteur tout seul ? »
Faire advenir un autre possible, c’est savoir qu’on va morfler. Qu’il va falloir adopter une posture de résistance, quand on voudrait créer, envisager, inventer, permettre à d’autres de s’émerveiller. Certains résistent en inventant d’autres manières de faire, d’éduquer, de s’informer, de manger, de se déplacer. Ils inventent un autre rapport à la terre, d’autres modèles de famille, de collaboration, posent de nouveaux liens entre les générations. Je les rencontre partout. On a envie de s’attarder dans ces oasis. De refermer la porte de leur jardin et de ne plus entendre les bruissements du monde. Mais en même temps que ceux qui inventent d’autres manières de faire, nous avons besoin de ceux qui résistent à l’intérieur d’un système et qui tentent de le courber. Comme ces professeurs qui restent dans le système public pour offrir aux élèves un autre enseignement, même s’ils doivent suivre un programme, même s’ils n’ont que quelques heures.
C’est ce que vous avez tenté de faire. Ce combat-là est le plus ingrat, car il est fait de compromis et de petits accommodements face une urgence qui exige du courage et de l’audace. Il demande de dépenser son énergie à comprendre d’autres visions, d’autres enjeux, et à tenter de les changer. Ce combat est sans doute celui qui use le plus. Et au bout, ce dilemme dont personne ne peut imaginer le poids: si je quitte c’est pire, si je reste je donne l’impression qu’on en fait assez.
« Qui serait à la hauteur tout seul ? » avez-vous dit. On aura beau jeu de vous peindre comme un idéaliste qui ne peut pas se satisfaire des compromis que l’exercice politique exige. C’est ne pas voir la question que pose votre démission : n’est-il pas urgent d’envisager de faire de la politique autrement ? Car nous avons renoncé à exiger des politiques d’avoir une véritable vision du monde, du devenir d’une société et d’un récit commun. Vous nous avez rappelé ce qu’est – ce que devrait être – l’engagement politique : quand un individu se met au service de quelque chose plus grand que lui.
« La responsabilité, elle est collégiale, elle est collective, elle est sociétale »
Et l’aveu de l’échec fut aussi plus grand que vous. Votre acte de démission fut aussi posé que lapidaire, aussi calme qu’impitoyable. Il y avait bien plus que de la tristesse ou de la colère : il y avait de l’incompréhension. Et cette petite phrase, « La responsabilité, elle est collégiale, elle est collective, elle est sociétale » est passée sans qu’on s’y arrête. Vous étiez en train de nous dire que nous sommes responsables de cet échec. Nous, c’est à dire moi, mon voisin, ceux qui lisent cette lettre en ce moment. Nous en tant que société, ce commun si difficile à envisager pour les enfants de l’individualisme.
En disant que nous avons une responsabilité, vous nous dites que nous avons un pouvoir. Ce pouvoir, nous y avons renoncé. Nous sommes abreuvés de reportages et d’analyses nous montrant le pouvoir des multinationales, leurs tentacules écrasant tout et leur mainmise sur nos gouvernements par la force des lobbies. Mais on nous rappelle rarement – il ne faut sans doute pas froisser le consommateur de média – que la seule force par laquelle ces multinationales tiennent, sont les consommateurs qui achètent leurs produits. On ose dire que les dirigeants politiques ont une très faible marge de manœuvre, mais qui ose dire que le consommateur a le pouvoir de ne pas acheter, et donc la première responsabilité ? Que chacun de nos achats est une grimace ou un sourire fait à notre avenir ? Bien sûr le consommateur ne peut pas tout. L’isolation des logements pour réaliser des économies d’énergie, l’accès aux transports pour éviter la voiture, la proximité de magasins vendant de bons aliments, tout ceci est le fruit d’une politique. Mais la force de levier des consommateurs est première.
Ce matin-là ce n’était pas seulement un ministre déçu de l’absence de volonté d’un gouvernement que nous avons entendu. C’était un citoyen qui tendait à la société un miroir impitoyable, celui de son indifférence. Ce que Nicolas Hulot incarne ne devrait pas nous dédouaner de notre responsabilité en tant que société civile. Il est très français de s’en remettre à l’État pour régler les problèmes de société. À croire que les Français ont vraiment cru qu’ils pourraient élire un président portant un projet libéral et que la transition écologique y serait intégrée comme une priorité. Sauver la planète sans renoncer à un mode de vie qui la détruit… on pourrait presque en rire, si ce paradoxe n’entraînait une si grande catastrophe.
« Un acte de mobilisation »
« Est-ce que j’ai une société structurée qui descend dans la rue pour défendre la biodiversité ? » La réponse est bien évidemment non. Nous vivons dans un pays où la population est capable de descendre dans la rue par centaines de milliers de personnes pour célébrer la victoire d’un ballon rond, mais n’est pas capable de le faire pour protéger sa maison, la terre. Alors je me dis que nous avons sans doute les dirigeants que nous méritons, et que, tout simplement, la France ne vous méritait pas.
Votre démission est autant un acte de renoncement qu’un appel à une autre forme d’engagement. En réaction à ce geste, une Marche pour le Climat se prépare le 8 septembre prochain. Est-ce la mobilisation que vous appelez ? Une marche peut autant être le coup d’envoi d’un engagement quotidien, qu’un gargarisme symbolique pour retourner à ses habitudes la conscience tranquille. Je ne sais si les convictions qui seront brandies en slogans seront traduites en acte une fois chacun rentré chez soi, une fois l’euphorie passée. Car je me demande, parmi ceux qui marcheront et crieront qu’il faut protéger la planète, combien recyclent leurs déchets, combien jettent leurs mégots dans les poubelles, combien ne mangent des fraises qu’en été, combien ne touchent pas au Nutella, combien refusent de mettre les pieds chez Starbucks ou chez McDo, combien lisent derrière les paquets et le reposent dès qu’ils voient un additif suspect ou de l’huile de palme, combien achètent du lait payé au juste prix à l’éleveur, combien vérifient que leur maquillage n’est pas testé sur des animaux. Et combien, parmi ceux qui marcheront, accepteraient de signer une Charte de Responsabilité où ils s’engageraient, pour une durée symbolique – quelques semaines, quelques mois – à manger local et de saison, à boycotter toutes les marques qui ne respectent pas les normes environnementales.
Écologie, climat, planète : des mots trop lointains
Vous l’avez dit dans cette entretien : le mot écologie est réducteur, car les enjeux dépassent de très loin ce qu’on appelle la nature. Les mots vivent, se gonflent et s’épuisent. Je crois que c’est le cas pour écologie, planète, climat, environnement. Combien de fois ai-je entendu des personnes dire : « C’est terrible on bousille la planète » en commandant une salade tirée d’un sachet avec du saumon d’élevage norvégien bourré de pesticides et des tomates en barquettes d’Espagne en plein hiver ? La moitié de la salade finissant à la poubelle. La planète semble une chose lointaine détachée de toute réalité. Combien de fois ai-je été dans des classes où les adolescents, tous d’accord pour préserver l’environnement, terminaient de commenter un article sur la destruction causée par l’huile de palme par « Mais le Nutella c’est trop bon ! ».
Bien avant que les sacs plastiques soient interdits dans les magasins, lorsque je précisais que je n’en voulais pas, je me suis souvent fait dire : « Ah vous êtes écolo ? » Je répondais : « Non, j’ai juste du bon sens ». L’Écologie est pour beaucoup un étendard de bobos idéalistes, qui ne sont pas pris dans l’urgence de la survie. Pourtant, si on quittait les milieux parisiens, on se rendrait compte que partout en France, des milliers de personnes vivant avec le minimum social et dans l’insécurité financière, se démènent pour respecter le vivant et pour atteindre une autonomie alimentaire et énergétique, devenant par là-même moins dépendants de l’argent.
Il serait temps de nous défaire de la vision binaire qui opposerait des enjeux sociaux urgents à l’enjeu écologique qui serait au-dessus mais par là-même, trop lointain. C’est ne pas comprendre que le rapport au vivant, aux ressourc
es naturelles, à ce qui nous permet de manger, de nous chauffer, de nous déplacer, de nous habiller, est ce qui permet nos emplois, nos logements, nos déplacements, nos carrières, nos retraites, nos vêtements, nos écrans. Il n’y a pas deux enjeux dont l’un serait à l’agenda une fois que les urgences du premier seront traitées.
L’aveu d’un échec
Je voulais pour finir vous remercier pour ce geste rare et courageux qu’est l’aveu de l’échec, pour cette voix nouée et ce regard sans lumière que j’emporte comme l’un des derniers avertissements avant le point de non retour. Votre renoncement est aussi fort, et peut-être plus, que votre engagement. Il en fait partie. L’échec, voilà bien un mot parasite dans notre société du roman de la réussite. Quand on s’assigne un objectif et qu’on n’y parvient pas, on nous dit bien souvent : « Ce n’est pas un échec, c’est une expérience » ou bien « C’est que ce n’était pas le bon moment » Comme s’il devenait franchement impoli de rater.
Votre échec est à l’image de tout ce qui nous attend, de tous ces hommes et ces femmes qui cherchent à faire autrement et qui se retrouvent isolés, broyés par plus puissant qu’eux. Il est plus facile de changer une loi que de changer une habitude une indifférence ou une peur.
Pourtant je n’ai pas d’autre choix que de continuer le combat. La question d’y croire ou pas n’est même plus d’actualité. Il ne s’agit pas d’opposer les optimistes et les pessimistes. Il s’agit seulement de se dire qu’au moins, on aura fait ce qu’on a pu. C’est un espoir qui boite, et c’est celui de ma génération.
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Est-ce que la marche du 8 septembre aura lieu dans toutes les villes (prefectures) ? Si oui, comment diffuser l’info pour des personnes comme moi vivant loin de tout…
Merci
Magnifique texte qui résume bien le vide sidéral qu’on ressent après le renoncement de Nicolas HULOT. LEs questions qu’on se pose, nos contradictions flagrantes, notre impuissance parfois mais surtout notre responsabilité! Merci et bravo.
Merci pour ce texte empreint de bon sens et de mesure à l’échelle du problème.
J’ignore si une marche pour le climat se déroulera dans un périmètre atteignable, pour moi, mais j’y serai au moins en esprit.
Je fais parti, avec mon amoureuse, de ces gens qui respectent profondément le vivant et lisent les étiquettes de façon responsable.
Effectivement, indéniablement, il n’y pas les problèmes sociétaux prioritaires d’un côté et la défense de la nature de l’autre.
L’humanité a toujours brillé par sa capacité à réagir en retard ou trop tard.
Sur cette question, nous sommes de plus en plus nombreux (mais pas assez) à savoir qu’un mot de nos parents et une excuse bidon ne nous sauverons plus.
Nous sommes tous responsables et si certains se dédouanent, redoublons d’efforts à leur place !
Ps: Il existe de très bonnes alternatives Bio au Nutella, aussi gras et sucré mais éthiques.
Bon courage pour la suite !
Jull