Ces temps-ci la colère sort. Et c’est tant mieux. «Quand on n’est pas en colère c’est qu’on est tout seul», disait Jacques Brel. Mais à l’heure de l’urgence, nous n’avons plus le temps de seulement nous défouler. Reste à faire de cette colère un engrais pour construire – et même, pour exiger – un autre modèle de société. Qu’elle ne soit pas seulement un geste qui soulage ou un cri de détresse. Mais un outil efficace. Tout l’enjeu est là : ce poing qui cogne et qu’on brandit, l’ouvrir, et y blottir bien au chaud des graines à semer, à arroser, à protéger. Celles d’une autre société. Pas seulement le temps d’une marche, d’un joyeux moment ensemble, d’un geste symbolique, ou d’une manifestation de colère et de cris, mais chaque jour. Rentrer chez soi, regarder autour, et se demander si ce slogan est un engagement du quotidien.
Je ne me contenterai pas de dire ce qui ne va pas. De vouloir faire remonter là-haut toutes les raisons légitimes de ma révolte. Je m’interrogerai aussi, dans le même temps, sur la part que je prends à servir le système que je critique. Je me demanderai à quel moment, dans la journée, j’encourage ces multinationales auxquels je dis que les politiques sont soumis. Pour chaque difficulté que j’ai envie d’exprimer, je demanderai aux autres présents autour de moi de m’aider à chercher une solution. Dans les réunions je proposerai une mi temps où, à la moitié du temps, toute prise de parole devrait être une proposition et une tentative de répondre à un problème, et les plaintes laissées pour la première partie de soirée. Si je critique les médias, je me demanderai quels médias j’encourage, quand j’allume ma télé, ma radio, quels journaux j’achète. Je ne me laisserai pas confisquer ma puissance. Car je sais que le changement de société ne peut se faire que simultanément à toutes les échelles.
Je ne me contenterai pas de «faire ma part»non plus, mais je m’épuiserai pour que, à chaque échelle de la société – locale, régionale, nationale, européenne, mondiale – cela change… J’irai voir mes voisins, les parents des amis de mes enfants, mes collègues, et, pas à pas, sans donner des leçons, je proposerai, je laisser entrevoir d’autres possibles.
Je parlerai de ceux qui n’ont pas eu le temps de colorier des pancartes parce qu’ils oeuvrent, chaque jour, au changement, les mains dans le cambouis du quotidien. Je troquerai le «Oui mais pour eux c’est facile…» en : «Tiens, comment ont-ils fait ? » J’irai gratter la carte postale de l’alternatif, et j’irai les rencontrer, ces gens qui font autrement dans l’éducation, l’agriculture, l’habitat, l’économie, le politique. Ce ne sont pas des bobos parisiens, ce ne sont pas des hippies dans un écovillage isolé, ce ne sont pas des privilégiés, ce ne sont pas des gens qui peuvent se permettre de l’envisager. Ils sont partout autour de moi, et on serait surpris de découvrir que la plupart n’est pas riche, a des enfants en bas âge, prend des risques, doute, essaye, se plante, et recommence.
Je ne resterai pas dans un entre-soi confortable. J’ai bien l’impression que de plus en plus de gens s’y mettent, dès que je m’abonne aux groupes facebook de presse alternative. D’un coup le monde change, je ne vois que du positif partout. Et les 300 clients journaliers d’un magasins bio ne voient plus les 3000 qui sortent tous les jours du supermarché d’en face.
Je développerai des outils concrets. L’information est là, les discours aussi. Les experts sont invités sur les plateaux télé, les livres et les articles sortent, les appels et les pétitions pleuvent. Nous savons. Nous alertons. Mais pour ceux qui expliquent et qui commentent, combien cherchent à développer des outils concrets face aux enjeux moins brillants du quotidien ? Comment permettre à mon voisin de se dégager deux heures chaque semaine pour préparer en avance des repas sains pour son enfant et les congeler ? En lui permettant deux matins par semaine de ne pas avoir à l’emmener à l’école, en organisant du covoiturage alterné ? Alors il économisera sur les frais de cantine, alors il pourra acheter…
Je ne parlerai que pour construire. Nous dépensons beaucoup d’énergie en commentaires sur les réseaux sociaux pour expliquer aux autres qu’ils n’ont rien compris. Beaucoup de débats se résument à des duels d’opinions. Ceux qui se risquent à suggérer d’autres façons de faire sont vite qualifiés de donneurs de leçon. Et si je me mordais les lèvres (ou les doigts) et que je décidais de ne parler que dans le but de construire une intelligence commune ? J’oserai donner un coup de talon à ce qui en moi trépigne de faire comprendre à l’autre qu’il n’a rien compris. Je serai fin stratège, je servirai la cause plutôt que ma satisfaction personnelle. Je ravalerai l’envie d’avoir raison tout de suite et j’irai écouter la difficulté de l’autre, ses frustrations, ses certitudes, ses idées reçues. Je lui ferai comprendre que je le comprends. Et je le surprendrai en parlant son langage et en l’amenant à envisager autre chose. J’aurai la détermination ferme et l’écoute généreuse. Proposer des solutions et s’écouter n’enlèvera rien à la force de ma colère, elle ne niera pas la violence de ce que je subis. Au contraire, elle en fera une force constructrice et j’aurai la fierté de la porter pour les autres générations. Que mon enfant me voit lui creuser d’autres chemins avec toute la rage que j’ai aujourd’hui.
J’aurai le courage de ceux qui n’ont plus le choix. Je ne laisserai plus rien passer. Aucun petit geste, que ce soit le mien ou celui d’un passant, qui participe à la destruction du vivant, donc à la mienne. Aucun renoncement pour ne pas s’embarrasser de chercher autrement. Aucun déni pour remettre à plus tard l’urgence. J’essaierai jusqu’à épuisement. J’échouerai souvent. Je pèserai mon impuissance. Et je recommencerai. Je suis de la génération de l’urgence. Je n’ai pas choisi mon combat. Il s’est imposé. Nous n’avons plus le temps de nous contenter du petit geste ni de la colère qui soulage. Le temps n’est plus aux querelles de cour de récré. Car ni les insectes qui ne polliniseront plus, ni les glaciers fondus qui libèreront le méthane, ni les forêts qui brûleront, ni les digues qui cèderont, ni les millions de réfugiés qui traverseront les mers, ne nous diront qui avait raison.
Regarde bien petit regarde bien
Hier sur les places
Aujourd’hui aux ronds points
Des villes aux patelins
Y’a un homme qui vient
Que je ne connais pas
Regarde bien petit regarde bien
Est-ce un crieur fluo
Un gamin sans grammaire
Un rêveur écolo
Un pelleteur de chimères
Un jardinier boiteux
La semence dans le poing
Qui cherche son jardin
Est-ce l’aube qui vient me dire
Que demain n’attendra plus longtemps
Ou n’est-ce que la grogne
D’un troupeau en colère
Qui un samedi d’automne
A crié sa misère
Regarde bien…
Ce n’est pas un rêveur
Ses cernes sont trop creusées
S’il est consommateur
C’est qu’il est consommé
Ce n’est pas un gamin
Son rêve est trop ancien
Pour être périmé
Ce n’est pas un parti
Tenu par des experts
Shootés à l’ambition
La politique demain
C’est chaque citoyen
Qui saura la faire
S’il s’en donne les moyens
Regarde bien…
Oui c’est un homme debout
C’est un homme qui espère
Vivre encore sur la terre
Sans la tuer chaque jour
Ne plus être les rouages
De la machine qui prie
La croissance infinie
Pour finir avant l’âge
À compter sa tirelire
Et les miettes de soi
À chaque fin de mois
Allons faites place
Faites place et grand bruit
Car il est décrété
Le temps de l’utopie
Regarde bien…
Regarde bien
Tu n’auras pas à choisir
Entre la terre et ton frigo
Parce que demain
Tu seras la terre
Et tu seras l’eau
Tu seras
De l’insecte à l’éléphant
Du local au continent
Le lobby du vivant
Le lobby du vivant…
chanson inspirée de «Regarde bien petit» de Jacques Brel
Sarah Roubato a publié :
Partout en France et ailleurs, ils sont sur le point d’avoir trente ans. Une foule d’anonymes qui cherchent à habiter le monde ou à le fuir, à dessiner leurs rêves ou à s’en détourner. Au cœur du tumulte, ils s’interrogent, se font violence et ce sont leurs voix que l’on entend se déployer
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Une jeune femme écrit à un adolescent et lui propose d’envisager son avenir avec un autre regard que celui qu’on lui a appris, pour faire face à un monde qui change et qu’il va devoir réinventer. Une lettre qui résonne à tout âge pour ceux qui ont eu envie de quitter les chemins tout tracés et à qui on a dit que c’était impossible.
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Un recueil de lettres adressées à toutes celles et ceux, même s’ils ne peuvent pas répondre, qui peuplent la solitude d’une jeune femme éprise de la beauté du monde. Comment la dire, comment la préserver, comment y participer, alors que des forces contraires – l’hyperconsommation, les renoncements politiques, l’ambivalence du progrès technologique – nous isolent toujours plus les uns des autres ?
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