Politics

Capture d’écran 2017-06-04 à 11.54.49Il n’est pas d’usage de présenter ses voeux à la rentrée de septembre. Pourtant, c’est à ce moment de l’année que tout recommence vraiment. Les écoliers ouvrent les pages de leurs cahiers flambant neufs, les commerçants ont réorganisé leurs rayons, les travailleurs de bureau réorganisent leurs dossiers, les chercheurs d’emploi impriment leurs CV mis à jour. Les nouveaux emplois du temps se dessinent.

Que peut-on souhaiter à une société qui a connu cette année les cris de colère des mouvements sociaux, l’effroi et les larmes des attentats, le désarroi et la méfiance devant les milliers de réfugiés qui affluent, l’ébranlement d’une Europe qu’on croyait inchangeable, le bouillonnement de la COP21, et l’étonnement émerveillé du succès du documentaire Demain (Cyril Dion, Mélanie Laurent) ?

Savez-vous où…

Cette année, j’ai entamé le premier tour d’un pays magnifique. Dans des petits hameaux de ses montagnes, dans le coin de ses vallées, dans les banlieues de ses villes, j’ai rencontré des gens qui cultivent l’extraordinaire dans leur quotidien. Des gens hors système, hors norme, qui ont choisi de pratiquer leur métier autrement, faisant fi des chemins tout tracés. Dans quel pays trouve-t-on ces gens-là, me direz-vous ? Et bien, au risque de vous étonner, en France.

plusbeauSavez-vous où est né un mouvement qui, pendant trois mois, a réuni chaque jour, dans les villes comme dans les plus petits villages, des gens de tous les âges qui avaient oublié comment se parler et discuter ensemble de leur société ? En France.

Savez-vous par qui a été réalisé un documentaire qui aujourd’hui est acclamé dans le monde entier comme inspirant un changement concret et profond, qui est parti d’une levée de fond sur internet, pour arriver aujourd’hui à l’ONU et à décrocher un César ? Par des Français.

Savez-vous dans quel pays des paris médiatiques fous réussissent, comme celui de créer un média libre et indépendant en ligne financé par ses lecteurs, un hebdomadaire papier où n’écrivent que des sociologues, philosophes et écrivains, un site où l’enquête à long terme se raconte en récit, ou encore une revue trimestrielle papier remettant à l’honneur le grand reportage écrit ? En France : Mediapart, Le 1,Les Jours, XXI, pour ne citer que ceux-là.

 

Se raconter autrement

Il serait peut-être temps de se regarder par une autre lorgnette que celle que les médias de masse nous tendent.

Parler autrement de cette société française, telle me semble l’urgence, et la nécessité première. Parler autrement de cette génération de la crise et du chômage, une génération pleine de potentiels qui ne demande que l’espace pour le faire advenir.

Parler autrement de cette société métissée, construite par des siècles d’immigrations successives et entremêlées, qui donne pourtant l’image d’une société de racisme et de guerre civile. Un jour, un jeune canadien me dit : “En France, si tu es Arabe ou Noir, tu n’as pas de travail.” Un autre me dit : “Il y a une guerre contre les Musulmans en France”. Voilà l’image que nous projetons. Pourtant nous savons que la réalité quotidienne est beaucoup moins simple et beaucoup plus variée.

Parler de ces gens qui, en faisant des choix de vie courageux, conformes à leurs valeurs, vivent heureux, en harmonie avec leur lieu de vie, leur entourage et leur métier. Ils existent partout en France.

Parler de la capacité d’entraide et d’écoute des Français, qui n’enlève rien à leur verve et leur passion du débat. Avec toutes les critiques qu’on peut faire à Nuit Debout, ce mouvement a montré que cela était possible.

Alors pourquoi sommes-nous encore le peuple le plus déprimé, le plus consommateur d’anti-dépresseurs, le plus pessimiste sur l’avenir, l’un des pays que les jeunes veulent le plus quitter ? Peut-être tout simplement parce que nous ne nous laissons pas la chance de nous représenter à nous-mêmes autrement. Chacun prend la responsabilité de choisir les médias par lesquels il se fait une idée de la société dans laquelle il vit. Nous sommes responsables. Mais la responsabilité n’est pas un poids. Au contraire, c’est une promesse de libération, puisque si nous sommes responsables, alors nous pouvons changer les choses. Voilà une position bien plus confortable que celle de se complaire dans la plainte et la critique, ô combien légitime, de nos dirigeants politiques.

Il ne tient qu’à nous de sortir de l’étricage dans lequel les médias peu frileux nous tiennent en haleine, entre la peur, le déni et l’abrutissement. Il ne tient qu’à nous téléspectateurs, lecteurs et auditeurs, que ces médias ne soient plus de masse. Qu’on se tourne vers ceux qui nous montrent les visages cachés de notre société.

Il s’agit d’être fier. De retrouver une fierté ouverte sur le monde et ouverte sur soi dans sa complexité et sa richesse. Une fierté qui n’entengendrerait pas le syndrôme post-colonial pour lequel les Français sont bien connus à l’étranger. Tout n’est certainement pas mieux en France qu’ailleurs, mais tout n’est pas pire. Et si nous voulons améliorer notre société, la première étape ne serait-elle pas de repérer les terreaux fertiles où planter les semences d’un changement ? Un changement qui pourra être inspiré par d’autres pays, et qu’il nous faudra traduire pour le nôtre.

Changer le regard que nous portons sur la société. Même sans y croire, juste pour essayer. Pour donner une chance à ces jeunes journalistes, photographes, artistes, entrepreneurs, qui réinventent leurs métiers, en cherchant à revenir près des gens et à respecter la nature. Ces jeunes se comptent par milliers, et tous les jours ils frappent à vos portes, public, lecteurs, rédacteurs en chef, directeurs de festivals, mécènes, partenaires financiers. S’ils décidaient de partir ou d’abandonner, ce ne sera ni par manque de courage ni par fainéantise, mais parce que la magnifique société qui les a engendrés est bien capable de les ignorer.

Sarah Roubato a publié

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Politics

Capture d’écran 2017-06-04 à 11.54.49Des yeux qui fixent avec la même torpeur des images qu’ils ont vues il y a deux heures, il y a une demie heure, il y a dix minutes. Aucune pensée, seulement une soif de voir, de voir tout : le sang, les corps par terre et les corps qui courent, ceux qui pleurent près du cadavre de leur femme, ceux qui cherchent, ceux qui trouvent et s’effondrent. Je ne fais pas le tri, je prends tout ce qui passe, la banalité d’un propos comme l’indécence d’une image. Je ne suis plus qu’un cerveau traumatisé qui demande qu’on lui renvoie le même message.

Je cherche sur mon écran la sensation de l’horreur. C’est justement ce que les médias me promettent, des sensations : Témoignage glaçant… Les premiers témoins racontent l’horreur… Les corps qui tombent comme un jeu de quille. Le lendemain, des histoires pour stimuler d’autres émotions : Son père le cherchait depuis deux jours. K…, 4 ans, est décédé. Ce héros a tout fait pour arrêter le terroriste. Cette mère retrouve son bébé grâce à facebook !

Je n’aurai pas ces yeux-là.

Ceux qui louchent sur les titres qui promettent le résumé d’une vie arrachée en quelques secondes. À droite de mon écran, la photo d’une poupée gisant près d’une couverture de survie recouvrant un cadavre. Non, je ne cliquerai pas sur l’article.

Je n’aurai pas ces yeux-là.

Je ne remplirai pas la salle virtuelle de la peur. Je ne serai pas un spectateur de plus dans ce qui est organisé pour être vu, diffusé et commenté. Un spectacle dans lequel l’auteur ne joue que dans la première scène, le rôle de l’assassin. Après, le spectacle continue sans lui, avec les acteurs habituels : les chaînes d’information continue tentant de remplir les minutes avec le peu d’informations qu’ils ont, les experts expertisant à chaud, les politiques qui déclarent ceci, appellent à cela, condamnent et demandent des explications, les youtubeurs qui font une vidéo spéciale qui fera vite grimper leur audimat. Tout notre système médiatico-politique qui décuple le coup porté, aidant à diffuser la peur. Je ne ferai pas partie de ces millions de regards happés par le spectacle de la terreur.

Je n’aurai pas ces yeux-là. Ça ne veut pas dire que je refuse l’émotion, ça ne veut pas dire que je n’irai que vers l’analyse distante. Je ne veux pas opposer une certaine presse de l’analyse froide, à une presse émotionnelle de l’immédiateté. L’analyse et l’émotion peuvent coexister au sein d’un même média et même, d’un seul article. Mes yeux accrocheront aux images et aux textes d’une presse capable de faire passer une émotion par la force de l’écriture d’un article ou la narration d’une image, et non de celle qui arrache l’émotion à ceux qui sont en train de la vivre.

Je n’aurai pas ces yeux-là ne signifie pas que mes yeux resteront secs. Il existe une autre émotion que l’émotion médiatique. D’autres manières de s’intéresser à un événement que de s’immobiliser devant un écran. D’autres façons de le partager qu’avec des clics. Je n’aurai pas ces yeux-là, mais j’en aurai d’autres. J’aurai des yeux pour tout ce qui nous invite à sortir du zapping, ce qui nous invite à ruminer ce qu’on lit et ce qu’on voit. J’aurai des yeux pour ceux qui s’attaquent à la racine de tout problème de société : l’éducation. J’aurai des yeux pour ceux qui prennent le temps de comprendre et de faire ressentir, avec pudeur et respect.

Je vis dans un monde d’images et d’immédiateté qui me fait croire que c’est en absorbant le plus d’images choc et d’informations que j’y verrai le plus clair. Aujourd’hui plus que jamais, je sais que c’est faux. Je détournerai les yeux, et ce sera le premier geste de ma liberté retrouvée. La liberté aussi de ne pas me laisser dicter par les médias quels attentats méritent plus mon attention que d’autres. Et si le 14 juillet est comme on le prétend le symbole de la liberté, alors permettez-moi d’user pleinement de la mienne, et de chercher d’autres moyens de comprendre le monde.

 

Sarah Roubato a publié

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