Si c’est vrai. Vous y êtes. Tout vous paraît beau. Il fait froid, je sais. Les vaches ont l’air énorme. Vous pleurez vous riez. Dormez. Dormez enfin. Vous êtes là, vous y restez. Mais attendez…
Vous voilà arrivés. Bien ou mal, accueillis ou tolérés, installés ou parqués, ici ou là, parce que vos proches y sont ou parce que c’était plus facile d’y entrer. La France, la Suède, l’Allemagne, vous les avez à peine choisi. Quand on fuit, est-ce qu’on choisit ? Un autre périple plus long encore commence : celui qui vous mènera à vous sentir – comment doit-on dire ? – intégrés, assimilés, adoptés. On débat déjà sur votre capacité à vous intégrer. Et chaque pays de cette soi-disant Union Européenne a sa propre conception de l’intégration.
“You leave home when home won’t let you stay”
Warsan Shire
En ce moment les médias font la course au portrait d’immigrés intégrés à la société qui font rayonner sa culture. Comme pour montrer l’évidence : une société s’enrichit toujours des apports des immigrants. Une société saine est une société qui bouge. On expose des migrants modèles. Bien sûr on ne parlera pas de ceux qui sont restés vingt ans ici et parlent à peine la langue. Pourtant ils existent, autant que les autres qui font pleinement partie de notre société. Certains viennent avec un tel désir d’intégration qu’ils parleront mieux la langue que beaucoup de natifs. D’autres se retrouvent dans des quartiers isolés et se replient en communauté. C’est qu’une personne en exil devient simultanément plus fragile et plus puissante qu’elle ne l’a jamais été.
Plus fragile parce que te voilà en territoire inconnu, avec des codes, une langue et des normes étrangers. Tu attiseras les peurs des locaux et les convoitises des communautaristes. Les primates sont portés à se rapprocher de ceux qui leur ressemblent. Tu iras d’abord voir tes proches, les gens qui partagent la même langue et la même religion que toi.
Mais une personne en exil a aussi une force extraordinaire. Celle de renaître. De se réinventer. Ici, tu peux te distancer de certaines normes de ton pays. Tu perds tes repères, pour t’en fabriquer d’autres. Si on te donne les outils pour le faire, et si tu es prêt à t’en servir.
Tu auras toujours comme un petit mal de mer, comme un fil qui tirera vers là d’où tu es parti. Mais tu rencontreras la partie de toi qui y survis. Oui je sais, ça fait peur. Et ça fait mal. Comme toutes les naissances.
Tes enfants, eux, joueront dans la cour avec les autres avant même de pouvoir leur parler. Bientôt c’est eux qui te traduiront les papiers administratifs dans la nouvelle langue. Elle leur glissera dans le gosier comme du sirop.
L’adaptation… principe qui mène un animal à survivre ou non dans un milieu donné. Ça y est vous vous réveillez ? Non, ce matin, plus besoin de marcher. Vous êtes là, et vous y restez. Et aujourd’hui commence pour vous le plus long périple.