Out of the obvious

La file d’attente n’était pas pour nous. Nous, c’était la petite dizaine de personnes qui n’allait pas réussir à remplir la plus petite salle du cinéma.

Ce n’est pas un film à grand spectacle. Pas de gros plan sur un sauveur effondré devant le corps mutilé des femmes. Ce n’est pas du Spielberg. C’est un film d’une grande pudeur, et qui pourtant, touche au vif. Avec la simplicité terrible des témoignages, quand l’horreur devient banale. Celle du viol, utilisé comme arme de guerre en République Démocratique du Congo, contre des femmes, des enfants et des bébés. Et le combat sans éclat d’un homme patient, posé, précis dans ses gestes, au verbe fort. Un chirurgien, le docteur Mukwege qui a cherché, derrière chaque corps mutilé qu’il réparait, à déplier une histoire, et à la porter jusqu’aux tribunes des plus hautes instances internationales.C’est un film qui appelle aussi à une forme de pudeur. Pudeur du regard. Pourtant, dans la salle, on riait.

Une femme soignée par le chirurgien marche vers le petit lopin de terre qu’elle a réussi à acheter après avoir économisé pendant sa convalescence. Elle va ramasser quelques légumes. Elle porte un tenue élégante, peut-être pour faire honneur à la caméra, ou peut-être simplement parce qu’elle a retrouvé la fierté d’être femme. Dans la rangée derrière, on des rires. On entend : “Les talons !” Oui, elle porte des talons, pour aller cueillir ses légumes dans la terre poussiéreuse.

Des hommes viennent d’être jugés et condamnés pour viols. On vient d’entendre une victime qui témoignait par microphone, pour ne pas être en présence de son agresseur. Les hommes sont condamnés, plan de caméra sur eux pendant qu’ils se font mettre les menottes. Deux rangées en avant, on rit. Les menottes sont en plastique.

À l’église, les femmes et le chirurgien prient. Ils se laissent aller aux incantations qu’on retrouve dans les courants gospels aux États-Unis : chacun scande des mots qui ne font pas nécessairement sens, et par le verbe, atteint un état d’extasie. Puis c’est la musique, rythmée et joyeuse. Dans mon champ de vision, des têtes de spectateurs se rapprochent pour se murmurer leurs impressions. On commente.

 L’homme qui réparait les femmes n’est pas un documentaire de voyage. Chacun est touché par le courage de cet homme, chaque femme a senti ses entrailles se crisper en entendant certains témoignages. Les bourreaux ne sont associés à aucune ethnie, aucun drapeau particulier. Ils sont rebelles hutus, maï-maï, soldats rwandais ou congolais. La musique de Bach épouse la beauté des paysages congolais. Ce film suscite l’humanisme au sens premier du terme. On a mal à l’humain et foi en l’humain en même temps. Pourtant, il y avait aussi dans la salle un regard moqueur, exotisant et amusé, devant des coutumes qui ne sont pas les nôtres. Ces commentaires amusés que l’on retrouve chez beaucoup de touristes qui vont rencontrer l’autre de loin, et qui ne retournent pas la carte postale. Si de tels rires ont pu transpercé un film aussi délicat, c’est que le chemin est encore long pour pouvoir s’identifier aux autres, aussi autres soient-ils, et pour qu’un film puisse pousser à l’action.

 

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[1] Jacques Brel, « Fernand »

Politics

mafalda9

29 avril Plus on est de fou plus on lit, Radio Canada. Invité Marek Halter, prophète de la paix dans le monde et de l’ouverture à l’autre. Ce grand écrivain semble s’être donné un défi : dire le plus d’approximations et d’inepties en dix minutes. Mais il sera absous, car son message est trop beau : il faut s’aimer et aimer l’autre.

 

« Se réconcilier, il faut faire un geste : s’approcher de l’autre, lui taper sur l’épaule. Tandis que s’indigner : vous restez devant votre téléviseur, et vous vous indignez. »

 

L’indignation, Monsieur Halter, est une forme de colère saine qui permet de refuser sa condition et de la changer au nom d’un idéal. Que celle proposée par Monsieur Kessel soit inefficace, c’est un autre débat. Que la plupart des gens se contente de rester derrière leur écran pour partager des photos et signer des pétitions en ligne en pensant que c’est cela s’indigner, c’est une chose. Que l’indignation soit réduite dans votre bouche à cela en est une autre. Si l’indignation consiste à rester devant son téléviseur, alors la réconciliation pourrait bien consister à se promener bras dessus bras dessous avec un représentant du culte musulman devant les caméras.

 

« Nous sommes, à ma connaissance, les seuls êtres vivants qui savent qu’ils vont mourir ».

 

Permettez que l’on préfère à votre connaissance celle des éthologues, qui nous apprennent que les éléphants, puisque vous les citez, ont une conscience aigue de la mort, puisqu’une mère éléphant peut revenir chaque année à l’endroit même où son enfant est mort, et qu’un dauphin peut se suicider.

 

« Je suis comme tout le monde je me dis on sait jamais. On ne peut pas dire qu’il y a des vrais agnostiques, quelqu’un qui exècre Dieu  »

Petit rappel des définitions : l’agnosticisme consiste à dire qu’on ne sait pas si Dieu existe. Il n’a ni adoration ni haine de Dieu dans l’agnosticisme. Par ailleurs, et vous semblez volontairement faire l’impasse sur eux, il existe des athées : des personnes qui affirment qu’il n’y a pas de Dieu. Tout le monde donc ne se dit pas on ne sait jamais.

 

« Nous sommes tous des humains, on se serre les coudes. C’était l’idée du Général de Gaulle et de Adeneauer quand ils ont lancé l’Europe »

 

Ouf De Gaulle était donc un humaniste mondialiste ! Il ne voyait absolument pas dans l’Europe le moyen d’assoir le destin de la France et d’assurer la sécurité en créant des alliances entre les pays situés à l’ouest de l’Allemagne et les pays situés à l’est. Ni bien sûr pour faire contre-poids à la puissance des Etats-Unis. Non, le Général de Gaulle voulait bien sûr tout simplement que tous les humains se serrent les coudes.

 

« Si on se replie on commence à regarder tous les autres comme des ennemis… c’est ça le nationalisme »

Les êtres humains sont des animaux sociaux. Comme tels, ils définissent des unités de groupe (clans, tribus, nations). L’État-nation est un modèle qui a émergé au 19ème siècle et qui repose sur la définition d’une langue et d’un territoire communs à un peuple. Le nationalisme est l’adhésion à cette appartenance, que ce soit dans le souhait d’avoir un pays ou dans celui de préserver le sien.

 

La haine, cher Monsieur Halter, n’a pas besoin du nationalisme pour exister. Le repli sur soi se fait d’un quartier à l’autre, d’une région à l’autre, d’une misère à l’autre. Pour quelqu’un qui plaide pour la reconnaissance de l’autre, votre désir de pulvériser toutes les frontières pour créer une humanité à jamais unie semble quelque peu s’assoir sur les différences. Et je vais vous en apprendre une bonne, Monsieur Halter : on peut vouloir préserver la particularité de sa culture, de son pays, de sa langue, et reconnaître aux autres une humanité pleine et entière.

 

Remerciements

Merci Monsieur Halter de parcourir le monde pour répandre la bonne parole.

 

Merci de parler des autres. Les autres qui malheureusement ne sont pas un bloc homogène que l’on déteste ou que l’on adule. C’est bien parce que les hommes ne sont pas seulement des chrétiens, des juifs ou des musulmans, mais aussi des ouvriers, des cadres, des campagnards, des citadins, des nomades, des sédentaires, qu’ils s’affrontent, se tuent, collaborent et font des alliances. Réconciliez-vous, dites-vous. Mais à quel « vous » réduisez-vous donc les hommes ?

 

Merci d’entretenir le religieux en ne voyant les humains que par la lorgnette du religieux, alors que les conflits qui se produisent partout au Proche et Moyen Orient et en Afrique, sont le fruits d’un complexe agencement de facteurs politiques, économiques, sociaux, historiques, sur lequel vient se greffer le religieux comme catalyseur émotif. Si les Chiites se rebellent, ce n’est pas pare qu’ils méprisent la doctrine sunnite, mais parce qu’ils ont été opprimés pendant des siècles. Ce sont donc des hommes politiquement et socialement marginalisés qui saisissent l’idéal révolutionnaire du califat islamique de Daesh.

Votre négation de la complexité du réel ne fera pas avancer l’humanité d’un millimètre vers la paix. En revanche, expliquer que le mouvement de l’Armée de Résistance du Seigneur, mouvement ougandais djihadiste, n’a rien de religieux, ou que Boko Haram est une insurrection sociale et non religieuse, nous permet de mieux comprendre et de tenter de trouver des solutions. Je vous renvoie à l’excellent entretien avec Jean-François Bayart, politologue et sociologue spécialiste de l’Afrique, sur France inter dans l’émission Un jour dans le monde le 16 février dernier.

Merci de dire que tout le monde doit s’aimer. C’est bien. Cela plaira aux bobos occidentaux. Ils diront que c’est quand même important de le rappeler. Mais cela mérite-t-il les ondes médiatiques et les conférences ? Ne vaudrait-il pas mieux inviter les chercheurs qui passent leur vie à analyser les conflits ? Et pendant ce temps, on ne verrait plus Monsieur Halter dans les médias parce qu’il oeuvrerait discrètement mais efficacement pour faire appliquer son idée d’envoyer des jeunes susceptibles de se laisser séduire par le djihad sauver les clandestins en Méditerranée, où ils se sentiront aussi utiles et héros qu’avec une kalachnikov et un drapeau noir.

Merci pour vos oppositions simplistes entre l’ouverture et le repli. Si j’ai bien compris l’ouverture c’est qu’on s’aime tous et on est tous des humains. Le repli c’est qu’on est méchant et qu’on n’aime pas les autres. Cette vision permettra sans doute aux futures générations de mieux comprendre le monde et d’œuvrer pour la paix.

Pour un homme qui vit des mots, Marek Halter, vous les utilisez avec une légèreté qui fait froid dans le dos. Le mauvais usage des mots, la généralisation et la négation du réel sont les premiers outils des régimes dictatoriaux, des mouvements djihadistes et des zones sombres de nos démocraties. Vous avez finalement trouvé ce qui rapprochera l’humanité : la bêtise. Merci Monsieur Halter.