Quand la dernière note d’une chanson résonne, les mains prêtes à applaudir restent suspendues. Elles attendent. Comme si elles allaient briser quelque chose. Les yeux restent fixés sur cette main déposée sur le manche de la basse ou sur le clavier du piano qui attend que la note finisse de résonner. Si quelques uns arrivent en retard, ils rentrent sur la pointe des pieds. Que se passe-t-il ici ?
« Même pas peur »
Seule sur scène, une fille aux cheveux ébouriffés enfourche sa fragilité et va nous cueillir des mots, le long d’une corde qu’on croyait bien cachée dans le noir de la salle. Elle les fait glisser sur sa ligne de basse qu’elle joue presque comme d’une guitare. Elle en joue comme de nous, délicatement, et à pleine corde. Dans la légèreté comme dans la douleur, Marion Cousineau se montre toujours nue. Son sourire qui se dessine au coin de sa joue droite, c’est tout ce qu’elle a comme paravent.
Ses mains tremblaient la première fois qu’elle a chanté dans un micro, au P’tit Bar de Montréal au Québec, un lieu comme il n’en n’existe plus beaucoup, où la chanson se vit pleinement et chaque soir. Elle y avait chanté pour l’anniversaire d’un ami qui a eu la magnifique intuition de lui demander ce cadeau. Il lui avait suffi de la voir gratter au coin du bar à l’heure où les portes se ferment et où on fume dedans. Aujourd’hui, ses mains ne tremblent plus. Cette fragilité, c’est sa force. Marion l’assoit, l’assume, la fait glisser sur sa basse. Les yeux ne se ferment plus par timidité comme aux premiers jours, mais pour mieux cueillir les mots qu’elle dépose au seuil de notre propre fragilité. L’œil gauche se ferme en premier. La main passe toujours dans les cheveux entre deux chansons, mais le geste est fini, assumé.
« Ces fêlures que tu regardes en face »
Par le spectacle de sa fragilité, Marion Cousineau nous invite à nous réconcilier avec nos maladresses, nos imbécilités, nos bobos de grands enfants blessés. Tout ce que notre société de la maîtrise et de la puissance nous interdit de montrer. « Je voudrais vivre Amour sans qu’il y ait toi et moi ». Elle parle d’amour pour un oiseau ou pour un arbre, de l’amour pour une adolescente dans une chanson d’une jeune femme à une jeune fille. Elle parle de ces choses qu’on ne dit pas et qu’on cache sous des postures qui font du bruit. Dire à celle qu’on a perdue qu’elle nous manque, à celui qu’on a effleuré d’un regard qu’on voudrait bien, dire ceux qui partagent notre sang comme ils nous étrangent parfois, dire à une rencontre d’un soir l’empreinte qu’elle a laissée sur nous. Des gens comme Marion, il en faudrait pour chacun d’entre nous, un petit être qui viendrait souffler à notre cou pour nous rappeler comme on est beau et puissant quand on montre nos fragilités.
« Juste un souffle à ton cou, morceau de moi et souvenir de nous »
Marion, c’est une fleur sur laquelle beaucoup de jardiniers ont dû se pencher en lui chuchotant : « Vas-y doucement ! », qui ont dû l’arroser de fous rires dans les verres du milieu de la nuit, qui ont dû lui poser une main sur l’épaule. Ils ont dû lui dire « Pourquoi pas ? » Pourquoi pas, tu viendrais chanter une chanson pour mon anniversaire ? Et pourquoi pas, on ferait un duo des chansons de Leprest ? Et puis on dirait que tu enverrais tes textes au concours Petite Vallée, et on dirait que tu ferais une résidence en France. Pourquoi pas ? Vas-y doucement !
Et quand elle entonne « La vie c’est un grand rêve qui se rêve debout », tirée de la chanson de Victor Frapp, on entendrait presque résonner un choeur qui tous les soirs dans le plus petit lieu de Montréal, se réchauffent de mots et de musique. Marion est seule sur scène, mais elle n’est pas seule dans la vie. Car cette fille, on ne l’admire pas. On l’aime.
« Ce qu’on est, on l’écrit au crayon mais sans gomme »
Découvrez d’autres artistes qui nous invitent à regarder autrement un petit coin de la société, et de nous-mêmes en cliquant ici.