À certaines heures de notre vie, chacun de nous connaît des moments où l’on se rencontre tout nu, dans notre fragilité, dans nos rêves, dans notre folie et nos peurs. Le miroir qui nous rélève peut être aussi bien le fond d’un verre qu’on a bu seul, les yeux d’un ami, une mélodie, quelques mots d’un poète, un film, un paysage. La rélévation nous arrive sur la pointe des pieds, on ne l’attendait pas. Et après, qu’est-ce qu’on en fait ? On l’oublie, on la garde pour plus tard, ou bien on cherche à en garder la trace. Alors on peind, on sculpte, on compose ou on écrit des chansons. Pour soi d’abord, et puis plus tard pour les partager avec un public, pour que d’autres soient amenés, peut-être le temps d’un concert, à ce moment de vérité.
Les chansons de David Portelance nous invitent à suivre ce chemin de la connaissance de soi. Il présentait dimanche dernier au Verre Bouteille son spectacle qu’il renouvellera le 22 février prochain au Labo de la Taverne Jarry.
« Un p’tit gars plein de doutes »
David arrive sur scène d’un pas assuré, souriant, le regard franc, imposant. Pourtant il nous le dit tout de suite : « J’suis rien qu’un p’tit gars plein de doutes ». Il rejoint la chaloupe de son band composé d’amis de longue date avec lesquels il navigue en toute confiance. Mais il est « un trou dans une chaloupe ». Quelque part derrière la voix maîtrisée, le plaisir de jouer et de laisser l’harmonica partir ses solos, il y a un gars qui cherche à se convaincre qu’il faut y aller, qui ramasse ses doutes et en fait une petite armée pour marcher. Il écrit pour calmer sa « bombe au creux du ventricule ». Le Verre Bouteille est plein à craquer, le public attend celui qui a fait les premières parties de Fred Pellerin et qui maintenant remplit des salles tout seul.
« Si j’ai des fourmis dans le coeur »
Le p’tit gars qui sent quelque chose bouillir en lui cherche à le sortir et à l’amener ailleurs. David veut aller toujours plus loin. Il va voir derrière le jardin où il jouait petit, là où vivait un vieil indien qu’il nous raconte en chanson. David a le verbe rythmé, le picking précis, et le pied qui frappe vigoureusement la mesure, parfois même les deux pieds. On a l’impression qu’il marche assis. À croire qu’il nous invite vers « bien d’autres territoires que ma mule et moi devons voir ». David cherche le rythme de son avancée : dans la chanson qui évoque l’enterrement de son père, il demande au corbillard « qu’on prenne le temps ». Dans la chanson Le coureur, c’est au contraire une course effrenée pour aller « jusqu’au bout ». Mais toujours sous toutes ses chansons, une fragilité et des doutes : « Je suis boiteux et la marche est si haute », dit-il dans Le coureur.
« Je me sens si fragile dans ma carlingue »
Derrière le pied qui frappe, les blagues et les anecdotes entre les chansons, où était ce soir là le David que les chansons racontent ? On aurait voulu le voir apparaître, de temps en temps, au détour d’un couplet, ou dans cette fraction de seconde après la dernière note où la salle est en suspens et tarde à applaudir, parce que l’émotion a été si forte. Les chansons de David peuvent nous y amener. La fragilité se fraye un chemin entre les mots, dans les petits silences, dans l’intériorité de l’interprète. Ce soir là, elle était noyée par la musique bien trop forte qui faisait crier les speakers. Après la chanson sur la mort du père, le public a applaudi avec des « Woo ! » et des rires. Quelque chose a manqué.
La scène est un étrange lieu où celui qui s’y risque est à la fois en position d’autorité et de fragilité. Ce qu’on appelle les bêtes de scène sont avant tout ceux qui n’ont peur ni du ridicule ni de montrer leurs failles. Ils se donnent entièrement, à nu. David est imposant. Il parle de ses fragilités mais il ne les incarne pas encore. Sauf dans une chanson du rappel, quand, seul à la guitare, sa voix prenait une autre ampleur, et que l’émotion avait le temps de naître. Le temps de cette chanson, David était véritablement puissant.
Dans une de ses chansons hommages, David nous parle d’un moment silencieux partagé avec un ami. Un moment pur qui n’avait pas besoin de mots pour exister et auquel pourtant il a su donner des mots. « C’est dans le silence qu’une réponse est belle, c’est dans le brouillard qu’une rencontre est belle ». Faisons confiance à ceux que nous aimons comme au public, pour leur montrer nos doutes et nos peurs, nos rires et nos folies. Ils prendront alors le miroir et nous offriront notre vérité.