« Et de grande baies vitrées ! Le soleil qui entre partout ! Dernier étage, vue bien dégagée. Ah ! il va faire beau demain. Enfin la saison des robes ! »
Contre le mur de pierre, le thermomètre ne dépasse par les 20 degrés. Dehors il fait 36. Non, pas de clim. Seulement une maison dont tout le mur du bas est enterré. C’est ma grotte. Elle m’offre la fraîcheur de la terre en été et sa chaleur en hiver. Je n’en sors qu’à 18h. Moi j’hiberne l’été.
Je suis une fille de la terre. Je ne me sens jamais aussi bien que dans son antre, dans les grottes et les crevasses, dans le lit des rivières et les forêts profondes. Les horizons m’ennuient, comme les ciels bleus. J’aime les ciels chargés qui choisissent la lumière qui les traverse. Je sors courir quand il pleut, et j’ai à nouveau quatre ans quand je peux patauger dans la boue.
« Chacun son truc. », direz-vous. Mais non. Car le truc de certains est la norme du monde. Nous vivons dans le monde des open space, des derniers arbres qu’on rase pour agrandir un champ, un monde de l’affichage, des selfies souriants, des likes qui remplacent les comment tu vas, des écrans qui clignotent sur les trottoirs, des étoiles chassées des villes, des néons aveuglants des bureaux des écoles et des cantines, et de la ruée pour la grande séance de rôtisserie estivale sur les plages. C’est un monde où les êtres de l’ombre et de la nuit, de la terre et des orages, restent les gens un peu spécial(s) ! Il suffit d’écouter les bulletins météo où les journalistes se réjouissent du « beau temps » quand il fait 20 degrés en février ou nous annoncent que « Bonne nouvelle ! À partir d’aujourd’hui les jours rallongent. » I can see cleary now the rain is gone, dit la chanson, et toutes les autres. On parle de la lumière au bout du tunnel. Moi j’aime les tunnels. Je peux rester des heures dans le silence des grottes. À l’automne, je renais, une sève remonte en moi, et je me réjouis de pouvoir remettre des vestes et des bottines.
Pour tous les êtres qui rampent et qui creusent la terre, pour l’oiseau bâtissant son nid à l’ombre d’un buis, pour le ver qui disparaît dans la terre humide, pour la fraîcheur d’une pierre dans le lit de la rivière, pour les noyers miraculeux qui offrent leur ombre aux marcheurs fatigués, une petite place s’il vous plaît.
Nous sommes les planqués, les repliés, les invisibles, ceux qu’on ne découvre qu’en se courbant pour gratter en-dessous de ce qui s’étale au grand jour. Naufragés des époques où l’on respectait la nuit, les recoins du visible et le silence, il ne nous reste qu’à renifler le monde, pour y creuser de petites grottes, quelque part en-dessous des panoramas et des baies vitrées.