C’est une drôle de fleur, qui ne regarde pas le soleil. Elle, c’est vers la terre qu’elle se tourne. Son cœur, elle ne l’ouvre pas au premier venu. Pour le voir, il faut s’arrêter, la soulever délicatement, pencher la tête. Apprendre à regarder avec d’autres yeux.
Ce qu’elle aime c’est surprendre, en surgissant de sous la neige. Le sourire qu’elle fait naître sur les visages des hivernants a des étincelles de diamant. Mais on ne sait jamais à quelle saison elle appartient. À croire qu’elle aime vivre à contre-temps. Elle arrive trop tôt pour qu’on l’appelle la première fleur du printemps, mais elle fait de la concurrence aux jonquilles. Les Anciens disent qu’autrefois quand il neigeait en novembre, on la trouvait parfois parsemant les tapis de colchique, souveraine de l’automne. Mais personne n’a vu ça depuis bien longtemps. Certains disent n’a trouvé sa place que loin des autres fleurs.
Mais cette année, elle n’a pas trouvé de neige à percer. À croire que ces temps-ci il n’y a plus de place pour le silence et le repli sur soi. La saison de l’écoute est en train de mourir, comme meurent les amitiés perdues sur des malentendus, les équipes qui se déchirent sous le poids des egos, les projets qui s’arrêtent avant qu’on puisse dire qu’on a essayé, les messages restés sans réponse, les histoires qu’on n’a pas le temps de laisser éclore.
Alors elle ne perce plus que le souvenir de la neige. Ses tapis blancs ont froid dans cet hiver à vingt degrés. Elle perce quand même, car elle ne sait faire que ça. Allez savoir, peut-être que je me trompe. Peut-être qu’elle perce l’espérance de la neige.
Deux jours après l’écriture de ce texte, une timide neige est tombée. Cette fois, c’est la neige qui a percé les fleurs.