Je ressors à l’instant de 12 heures sans électricité. Avec la dernière neige de la saison qui tombe tout autour, j’ai eu l’impression de recevoir deux cadeaux. J’ai apprécié le feu du poêle, le gaz de la cuisinière, et je suis sortie marcher dans la neige une dernière fois.
Je sais que l’arrivée du printemps, de la chaleur, du ciel bleu, même du 25 degrés en plein février, est toujours accueillie avec bonheur. Moi qui aime les contrastes, la diversité et le repli, je renais à l’automne, et je me retrouve en hiver. J’aime les ciels encombrés et changeants qui choisissent la lumière qui les traverse. On dit que la nature dort en hiver. Elle ne dort pas, elle veille. Et elle nous invite à veiller aussi. Elle nous invite au silence, à la solitude, et dans tout le boucan de nos vies pressées bruyantes et lumineuses, il se pourrait bien qu’elle soit essentielle. Alors je voudrais remercier l’hiver trop méprisé.
Merci de nous offrir la chance de marcher sans faire de bruit.
Merci pour le silence, merci pour l’isolement.
Merci de nous inviter à nous replier, sur nous, sur ce qui nous réchauffe.
Merci pour ces traces d’animaux sur le sol.
Merci pour ces paysages qu’on ne découvre que derrière les branches des arbres dénudés.
Merci pour les longues nuits, merci pour l’invitation à apprécier l’obscurité.
Notre langue a trop d’expressions pour dire que l’obscurité est le mal et la lumière le bien. On dit qu’on est « sous un nuage », qu’on espère « les éclaircies », que c’est bientôt « la lumière au bout du tunnel ». On parle des « Dark Ages » et des « Lumières ». Moi j’aime les tunnels, j’aime les grottes, les forêts aux grands arbres qui me protègent. Je suis de la race des animaux qui se terrent.
Je ne me réjouis pas que tu partes si vite, que tu arrives toujours plus tard, que tu sois transpercé de chaleurs qui font croire aux végétaux que c’est l’heure, qui épuisent leur sève. Je ne me réjouis pas de ces lacs trop bas, de ces nappes phréatiques qui ont soif, de ces débordements de rivières quand la neige fond trop vite.
Je n’ai pas hâte de retrouver l’ennui d’un ciel uniformément bleu. Je n’ai pas hâte d’être écrasée par la chaleur. J’ai envie que chaque saison ait sa place, dans ce pays magnifique où nous avons la chance d’en avoir quatre. Mais je sais que nous vivons dans un monde où la diversité des expériences se réduit chaque jour. Un monde où ce que nous mangeons, ce que nous écoutons et voyons, et notre rapport au monde, est de plus en plus uniformisé.
Je me sens souvent comme une nuit d’hiver qui tient tant qu’elle peut, qui essaye d’offrir une autre expérience, une autre manière de voir et de sentir, qui ne cherche pas à s’imposer mais qui voudrait juste un petit espace pour exister, et qui n’a peut-être plus sa place dans le monde du bruit de la chaleur et de la lumière.
L’une de mes chansons préférées de Brel est « Je suis un soir d’été ».
Un jour j’écrirai peut-être « Je suis une longue nuit d’hiver »