Le 6 juillet 2015
Monsieur Zola,
Comme il paraitra prétentieux d’écrire à l’un des plus illustres hommes de notre histoire. On pensera : « Pour qui elle se prend, pour son héritière ? » Mais c’est le privilège de ceux qui ont marqué notre mémoire collective que d’appartenir à tout le monde, et que n’importe qui puisse encore dialoguer avec eux. Et, Monsieur Zola, si des mineurs avaient leur place dans le cortège qui vous accompagnait, au milieu des ministres, des Clémenceau, des Jaurès et des tambours militaires, j’y aurais bien ma place, moi aussi. Je sais, j’arrive un peu tard, mais que voulez-vous on ne choisit pas l’époque où l’on naît.
Cette époque me trouble. Et en lisant votre œuvre, votre vie et vos articles, je me demande si votre inébranlable foi en l’avenir de l’humanité serait toujours intacte aujourd’hui. Vous avez vu les horreurs que le monde capitaliste, alors à ses balbutiements, fabriquait déjà. La curée de l’argent, les spéculations financières, les grands commerces écrasant les petits, les bourgeois se dévorant entre eux. Vous les avez vus de près, vous êtes descendu jusqu’au fond. Vous avez vu la déchéance où des hommes sont réduits par d’autres. Et c’est pourtant ceux qui ont vus les horreurs de plus près qui ont les idéaux les plus élevés, et la soif la plus intense de justice, de liberté et de vérité.
On dit que vous êtes un des ancêtres de l’anthropologie. C’est là que je me suis d’abord tournée pour écrire. Car oui il faut écrire, mais pas dans la tour d’ivoire d’un milieu littéraire académique. Il faut écrire en plongeant dans le vécu de ceux qui ne peuvent pas se dire. Pour ça j’ai quitté les études littéraires les plus prestigieuses. Pour ça j’ai traversé l’Atlantique et la Méditerranée. Treize fois je suis allée écouter vivre un peuple, apprendre sa langue, enregistrer ses histoires, noter tout ce que mon corps et mon esprit étaient capables de percevoir.
Mais le milieu académique menaçait encore de m’enfermer dans un éternel cycle de colloques de spécialistes, de conférences interminables, où chacun flatte son ego sans se soucier que les résultats de ses recherches sorte du petit cercle de jongleurs de concepts. Il aurait fallu enseigner. Passer des journées entières à corriger des examens à choix multiples. J’ai préféré me tourner vers le journalisme.